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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/219

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je vous en prie, car rien ne saurait m’être plus doux. Je désire beaucoup revoir et je salue tous nos frères qui servent le Seigneur auprès de vous.

LETTRE CX.


(Année 409.)

Saint Augustin, dans cette réponse, à laquelle un goût sévère pourrait reprocher une grande insistance sur les idées de dette et de débiteur, parle de l’amitié et des louanges entre amis avec beaucoup de cœur et de finesse ; l’affectueuse reconnaissance, l’humilité, la leçon chrétienne faite à un ami qui s’est trop laissé aller au mouvement de son âme, tout se mêle ici avec charme et gravité. Des louanges adressées à l’évêque d’Hippone, c’est un dérangement qu’on lui cause ; il faut répondre, et le saint évêque n’en a pas le loisir. Il supplie ses amis d’épargner son temps et de faire, sous ce rapport, bonne garde autour de sa vie.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, AU BIENHEUREUX ET DOUX SEIGNEUR, AU VÉNÉRABLE ET TRÈS-CHER FRÈRE SÉVÈRE, SON COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, ET AUX FRÈRES QUI VIVENT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. La lettre que vous a remise de ma part notre très-cher fils, le diacre Timothée, était déjà prête pour être emportée, quand nos fils Quodvultdeus et Gaudens sont arrivés avec une lettre de vous. C’est pour cela que Timothée, sur le point de son départ, ne vous a pas porté ma réponse ; il est encore un peu resté auprès de nous après l’arrivée de votre lettre, mais il semblait toujours qu’il allait partir ; quand même je lui aurais confié ma réponse, je serais resté votre débiteur. Car maintenant que je parais vous répondre, je vous suis encore redevable ; je ne parle pas ici de la dette de la charité, qui demeure toujours à notre charge à mesure que nous la payons davantage, puisque nous sommes à l’égard de la charité des débiteurs perpétuels, selon ces paroles de l’Apôtre ; « Ne devez rien à personne sinon de vous ai« mer mutuellement[1] ; » mais c’est à votre lettre elle-même que je ne saurais pleinement satisfaire : comment suffire à reconnaître tout ce qu’elle renferme de doux, et cette affectueuse avidité qu’elle exprime pour tout ce qui vient de moi ? Elle ne m’apporte rien que je ne connaisse déjà ; mais quoiqu’elle ne m’apprenne pas une chose nouvelle, elle exige cependant une nouvelle réponse.

2. Vous vous étonnez peut-être que je me dise ici débiteur insolvable, vous qui pensez tant de bien de moi et qui croyez me connaître comme je me connais moi-même : mais c’est là précisément ce qui rend si difficile ma réponse à votre lettre, car je ne dirai pas tout ce que je pense de vous pour épargner votre modestie, et, en le faisant, je ne paierai pas tout ce que je vous dois pour les grandes louanges que vous m’avez données. Je ne m’en inquiéterais pas, si je savais que ce que vous m’avez dit, au lieu d’être inspiré par la charité la plus sincère, l’a été par la flatterie ennemie de l’amitié. Dans ce cas, je ne deviendrais pas votre débiteur, parce que je ne devrais vous rendre rien de pareil ; mais plus je connais la sincérité de votre langage, plus je sens combien je vous suis redevable.

3. Mais voyez ce qui m’arrive : je viens de me louer en quelque sorte moi-même en avouant que c’est avec sincérité que vous m’avez loué. Pourquoi dirais-je autre chose de vous que ce que j’en ai dit à celui que vous savez ? Voilà que je me suis fait à moi-même une nouvelle question que vous n’avez pas posée, et peut-être en attendez-vous de moi la solution ; ainsi ma dette eût été trop peu de chose si je n’y avais moi-même largement ajouté ; néanmoins il est facile de montrer, et si je ne le montrais pas, vous verriez aisément qu’on peut dire vrai en manquant de sincérité, et qu’on peut dire avec sincérité ce qui n’est pas vrai. Celui qui parle comme il pense, parle sincèrement, quand même ce qu’il dit n’est pas la vérité ; mais celui qui parle autrement qu’il ne croit, n’est pas sincère, lors même qu’il dit la vérité. Je suis sûr que vous pensez ce que vous avez écrit ; mais je ne reconnais point en moi ce que vous y louez, et vous avez pu sincèrement dire de moi ce qui n’est pas la vérité.

4. Mais je ne veux pas que vous vous laissiez tromper même, par votre amitié ; je suis le débiteur de cette amitié, parce que, je le répète, si je n’épargnais pas votre modestie, je pourrais dire sincèrement et affectueusement de vous ce qui ne serait que vrai. Pour moi, quand je suis loué par un frère et un ami de mon âme, il me semble que je me loue moi-même vous voyez combien cela pèse, lors même qu’on ne dirait que la vérité ; et comme vous êtes un autre moi-même et que nous ne formons qu’une seule et même âme, ne vous trompez-vous pas beaucoup plus en croyant voir en moi ce qui n’y est point, comme lin homme lui-même se

  1. Rom. XIII, 8.