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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/220

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trompe en ce qui le touche ? Je ne le veux pas, d’abord pour ne pas laisser dans l’erreur quelqu’un que j’aime ; ensuite, de peur que vous ne demandiez à Dieu avec moins de ferveur qu’il daigne me conduire au point où vous croyez que je suis déjà. Je ne suis pas votre débiteur au point d’être obligé de penser et de dire de vous par amitié tout le bien que vous reconnaîtriez vous manquer encore, mais la dette de mon amitié doit se borner à dire tout le bien que je suis certain de voir en vous et qui est un don de Dieu. Si je ne le fais pas, ce n’est point par crainte de me tromper, c’est parce que, loué par moi, vous sembleriez vous louer vous-même : et à cause de cette règle de justice, que je ne veux point qu’on le fasse pour moi. D’ailleurs, si on doit le faire, j’aime mieux, quant à moi, rester votre débiteur tant que le sentiment contraire me paraîtra bon ; et si on ne doit pas le faire, je ne suis pas non plus votre débiteur.

5. Mais je vois ce que vous pouvez me répondre : Vous parlez ainsi, me direz-vous, comme si j’avais désiré une longue lettre de louanges. À Dieu ne plaise que rien de pareil soit entré dans mon esprit ! Mais votre lettre, toute remplie de mes louanges, vraies ou fausses, n’importe, a demandé que je vous reprenne, même malgré vous ; car si vous vouliez que je vous écrivisse autre chose, vous comptiez sur des largesses et non point sur le paiement d’une dette ; or il est dans l’ordre de la justice qu’on paie d’abord ce qu’on doit ; puis après, si on veut, viennent les libéralités. Si nous songeons plus attentivement aux préceptes du Seigneur, en vous écrivant ce que vous désirez, je paie plutôt que de donner, puisque, selon l’Apôtre, il ne faut devoir rien à personne, sinon de nous aimer mutuellement. Car les devoirs de fraternelle charité commandent que nous aidions, en ce que nous pouvons, celui qui a droit de vouloir qu’on vienne à son aide. Mais, mon cher frère, je crois que vous savez combien de choses sont dans mes mains, et de quel poids d’affaires ma vie d’évêque est accablée ; ils sont courts et rares mes moments de loisir, et si je les donnais à des soins étrangers, je croirais manquer à mon devoir.

6. Vous voulez que je vous écrive une longue lettre, et j’avoue que je le devrais ; oui, je le devrais à votre volonté si douce, si sincère et si pure. Mais vous êtes un parfait ami de la justice, et avec la pensée de cette justice que vous avez, vous accueillerez mes paroles. Ce que je dois à vous et aux autres passe avant ce que je ne dois qu’à vous seul ; et le temps ne me suffit pas pour tout, lorsque je n’en ai point assez pour ce qui devrait passer avant. C’est pourquoi tous mes amis, et je vous place au premier rang au nom du Christ, feront quelque chose qui sera pour eux un devoir, si non-seulement ils ne m’obligent pas d’écrire en dehors de ce qui m’occupe, mais encore si, autant qu’ils le peuvent, par leur autorité et leur sainte douceur, ils empêchent les autres de s’adresser ainsi à moi ; je ne voudrais point paraître dur en ne faisant pas ce que chacun en particulier me demande, lorsque de préférence je m’attache à faire ce que je dois à tous. Quand vous viendrez ici selon mes désirs et selon votre promesse, vous verrez de combien d’ouvrages je suis occupé ; vous ferez mieux alors ce que je vous demande et vous détournerez plus soigneusement ceux qui auraient envie de me charger d’écrire autre chose. Que le Seigneur notre Dieu remplisse votre cœur qu’il a fait lui-même si vaste et si saint, très-heureux seigneur ! 

LETTRE CXI.


(Octobre 409.)

L’Occident était en proie aux barbares ; les Goths dévastaient l’Italie, les Alains et les Suèves dévastaient les Gaules, les Vandales l’Espagne. Marie, le moins barbare des ravageurs de l’empire romain, avait déjà deux fois ouvert à ses troupes le chemin de Rome et forcé la capitale du monde de se racheter à prix d’or. De tous côtés arrivaient à saint Augustin de douloureuses nouvelles ; le prêtre Victorien lui écrivit pour lui raconter les maux dont il était le témoin ; l’évêque d’Hippone lui répondit par la lettre suivante qui fait déjà pressentir la cité de Dieu.

AUGUSTIN A SON BIEN-AIMÉ ET TRÈS-DÉSIRÉ SEIGNEUR ET FRÈRE VICTORIEN, SON COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Votre lettre a rempli mon âme d’une grande douleur ; vous demandez que j’y réponde par quelque écrit étendu, mais à de tels maux il faut de longs gémissements plutôt que de longs ouvrages. Le monde entier est sous le coup de grands désastres ; il n’y a presque pas sur la terre une contrée où l’on n’ait à souffrir et à déplorer des malheurs comme ceux que vous me racontez. Car, il y a peu de temps, nous avons eu des frères tués par les Barbares dans ces solitudes de l’Egypte où les cénobites se croyaient en sûreté au milieu de monastères