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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/231

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ces évêques ont été emportés par la même ardeur ou plutôt par la même erreur que vous et se sont appliqués à ces sortes d’études comme à quelque chose de grand ; mais des goûts pareils ne se sont pas prolongés sous des cheveux blanchis par les travaux du saint ministère et ne les ont pas suivis dans les chaires de l’Église ; s’ils voulaient s’en occuper encore, de plus grands soins, des soins plus graves fermeraient à ces souvenirs l’entrée de leur esprit ; si une longue habitude en a laissé quelque chose dans leur intelligence, ils aimeraient mieux tout ensevelir dans les profondeurs de l’oubli que de répondre à de misérables questions pour lesquelles vous n’avez obtenu que le silence des écoles et des rhéteurs, puisque c’est de Carthage que vous avez cru devoir demander à Hippone la solution de vos difficultés. Elles arrivent ici comme quelque chose de si extraordinaire et de si étranger que, dans la supposition où voulant vous répondre, j’aurais besoin de voir ce qui précède et ce qui suit vos passages, il me serait impossible de trouver à Hippone un exemplaire de l’ouvrage de Cicéron[1]. Je ne blâme pas les rhéteurs de Carthage pour n’avoir pas répondu à votre appel ; bien plus je les en loue, si par hasard ils se sont souvenus que de tels exercices ne sont pas dignes de Rome, et ne sont bons que pour les gymnases grecs. Mais vous, après avoir tourné votre pensée vers le gymnase et y avoir inutilement cherché la réponse à ce qui tourmentait votre esprit, vous avez songé à l’Église d’Hippone, parce qu’elle a maintenant pour évêque un homme qui jadis a vendu ces choses à des enfants. Mais je ne veux pas que vous soyez encore un enfant ; et il ne me convient pas de vendre ni même de donner des choses d’enfant. Ainsi donc, puisque deux grandes cités, maîtresses dans les lettres latines, puisque Rome et Carthage ne vous ont pas fatigué de leurs questions et ne vous ont pas soulagé du poids de vos inquiétudes en dissipant vos doutes, je m’étonne au delà de toute expression qu’un jeune homme tel que vous s’effraye de ce qu’il peut rencontrer dans les villes de la Grèce et de l’Orient ; car il serait plus facile de trouver des corneilles en Afrique que des gens en Orient qui parlassent de Cicéron.

10. Mais si je me trompe et s’il se présente dans ces peuples quelqu’un d’assez ridiculement curieux et d’assez insupportable pour vous questionner à ce sujet, ne craignez-vous pas plutôt qu’il ne s’en présente plus aisément d’autres qui, vous voyant en Grèce et sachant que la langue grecque a été la langue de votre berceau, vous interrogeront sur les livres mêmes des philosophes dont Cicéron n’a rien mis dans les siens ? et si cela arrive, que répondrez-vous ? Direz-vous que vous avez mieux aimé d’abord lire cela dans les auteurs latins que dans les auteurs grecs ? vous feriez ainsi injure à la Grèce, et vous savez combien les Grecs sont chatouilleux à cet égard. Mécontents et blessés, ils penseront bien vite, comme vous le craignez trop, que vous êtes bien borné d’avoir préféré étudier, par extraits et par morceaux, les doctrines des philosophes grecs dans les dialogues latins, plutôt que d’en avoir cherché et pris l’ensemble dans les livres mêmes de leurs auteurs ; ils vous traiteront aussi d’ignorant, parce que, ne sachant pas tant de choses dans votre langue, vous les étudiez et les cherchez dans des fragments reproduits par des étrangers. Répondrez-vous que vous ne dédaignez pas les ouvrages des Grecs en pareille matière, mais que vous avez voulu d’abord connaître les Latins, et que maintenant, instruit de ce côté, vous allez vous mettre aux livres grecs ? Mais si un Grec comme vous n’a pas honte d’avoir commencé enfant parles ouvrages latins et de vouloir maintenant apprendre les ouvrages grecs comme un barbare, pourrez-vous avoir honte d’ignorer, dans les auteurs latins eux-mêmes, des choses que tant de Latins instruits ignorent avec vous ? car vous êtes à Carthage au milieu d’une foule d’hommes versés dans les lettres latines, et pourtant vous vous êtes cru grandement obligé de venir m’importuner à Hippone par vos questions.

11. Admettons enfin que vous eussiez pu répondre à tout ce que vous nous avez demandé : vous voilà réputé très-savant et très-habile, vous voilà élevé jusqu’au ciel par le souffle des louanges grecques ; mais n’oubliez pas pour quelle fin sérieuse vous avez voulu mériter ce concert d’éloges ; n’oubliez pas que c’est afin de pouvoir enseigner quelque chose d’important et de salutaire à ceux dont la frivolité s’attache avec admiration à des choses frivoles, et qui déjà se suspendent à vos lèvres avec la plus bienveillante avidité. Je voudrais savoir si vous êtes en possession de cette doctrine importante et salutaire, et si vous seriez

  1. Tout ceci est curieux pour l’histoire des lettres latines dans la première moitié du cinquième siècle.