Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

capable de la bien enseigner ; car après avoir appris ce qui est inutile pour préparer les hommes à entendre de votre bouche les choses nécessaires, il serait ridicule de les ignorer ; il ne faudrait pas que, tout occupé à apprendre à vous faire écouter, vous ne voulussiez pas apprendre ce qu’il y aura à dire lorsqu’on vous écoutera. Si vous me répondez que vous ne l’ignorez pas et que cette grande chose c’est la doctrine chrétienne, objet de toutes vos préférences, je le sais, et fondement unique de vos espérances éternelles, elle n’a pas besoin qu’on lui gagne des auditeurs par la connaissance des dialogues de Cicéron et par un assemblage de pensées étrangères, mendiées de tous côtés et se contredisant les unes les autres. Que ce soient vos mœurs qui vous fassent écouter de ceux à qui vous enseignez ces vérités augustes. Je ne veux pas que, pour l’enseignement de la vérité, vous appreniez d’abord ce qu’il faudra désapprendre ensuite.

12. Si la connaissance de ces opinions, qui s’entrechoquent et se contredisent, est bonne à quelque chose dans l’enseignement de la vérité chrétienne, c’est pour faire justice des erreurs des adversaires, pour les empêcher de cacher soigneusement la pauvreté de leurs doctrines et de s’attacher uniquement à combattre notre propre religion ; car la connaissance de la vérité suffit seule au jugement et à la ruine de toutes les faussetés, lors même qu’elles se produiraient devant vous pour la première fois. Si donc pour frapper celles qui se montrent et découvrir celles qui se cachent, il est besoin d’étudier les erreurs des autres, levez les yeux, ouvrez les oreilles, je vous prie ; voyez si quelqu’un s’arme contre vous des sentiments d’Anaximènes[1] et d’Anaxagore[2] ; que reste-t-il même des stoïciens et des épicuriens, de ces philosophes plus récents et beaucoup plus bruyants ? leurs cendres sont déjà refroidies, et l’on n’y trouve plus une étincelle qui s’élève contre la foi chrétienne. Mais ce qui aujourd’hui fait du bruit, ce sont les assemblées ou conventicules, tantôt cachées et tantôt audacieuses, des donatistes, des maximiens, des manichéens ; et, dans les pays où vous allez et où vous les rencontrerez ; en foule et par troupeaux, des ariens, des eunomiens[3], des macédoniens[4], les cataphryges [5] et d’autres pestes sans nombre. Si nous ne prenons pas la peine de nous instruire des erreurs de tous ces hérétiques, à quoi peut nous servir, pour la défense de la religion chrétienne, de chercher ce qu’a pensé Anaximènes, et d’éveiller curieusement de vaines disputes depuis si longtemps endormies, puisqu’il n’est déjà plus question des marcionites, des sabelliens[6] et de beaucoup d’autres qui se paraient du nom chrétien ? Mais enfin, je le répète, s’il est besoin de connaître d’avance quelques-unes des doctrines qui combattent la vérité et en quoi consistent les divergences, nous avons dû plutôt nous occuper des hérétiques qui s’appellent des chrétiens, que de nous occuper d’Anaxagore et de Démocrite.

13. Apprenez à celui qui vous interrogerait sur ce que vous m’avez demandé, apprenez-lui que vous avez trop de science et de sagesse pour vous enquérir de pareilles choses. Thémistocle, dans un festin, ne craignit pas de refuser de chanter sur la lyre, en avouant qu’il ne savait pas chanter ; et comme on lui demandait : « Que savez-vous donc ? » il répondit : « Je sais faire d’une petite république une grande ; » hésiteriez-vous à dire que vous ignorez de telles choses, lorsque, si on venait à chercher ce que vous savez, vous pourriez répondre que vous savez comment l’homme petit être heureux sans elles ? Si vous n’en étiez pas encore là, vous agiriez aussi mal dans vos recherches auprès de moi que si, atteint d’une maladie dangereuse, vous cherchiez des plaisirs et des parures au lieu de remèdes et de médecins. Cette grande et principale étude ne doit être différée en aucune manière, et nulle autre ne doit passer avant, surtout à votre âge. Mais voyez combien vous pourriez apprendre

  1. On sait peu de chose sur la vie d’Anaximènes, philosophe de la secte ionique ; on place vers la 56e olympiade le temps où son enseignement jeta le plus d’éclat. On a sous son nom deux lettres à Pythagore.
  2. Anaxagore, disciple d’Anaximènes, naquit à Clazomène 500 ans avant Jésus-Christ. Il voyagea en Orient et surtout en Égypte, connut Périclès à Athènes et s’y établit. Il fut lié avec le poète Euripide. Poursuivi pour crime d’impiété, il quitta Athènes et s’en alla à Lampsaque où il mourut à l’âge de 72 ans.
  3. On appela de ce nom les disciples d’Eunome, sophiste audacieux et ignorant, fils d’un pauvre laboureur de la Cappadoce, qui fut évêque de Cysique et eut l’honneur d’être combattu par saint Basile et par les deux Grégoire de Nazianze et de Nysse. Eunome ; qui avait commencé par être arien, finit par tomber dans toutes sortes d’erreurs.
  4. Les macédoniens sont une secte du quatrième siècle dont il ne reste plus de traces après le cinquième ; ils eurent pour chef Macédonius Ier, patriarche de Constantinople, intronisé par les évêques ariens malgré le peuple, sous l’empereur Constance. De sanglantes violences se mêlent au souvenir de ce patriarche qui fut enfin déposé. Les Macédoniens, appelés aussi pneumatomaques, ennemis du Saint-Esprit, furent condamnés au concile général de Constantinople, en 981.
  5. On sait que la doctrine de Montan se maintint dans la Phrygie ; les cataphryges et les montanistes ne formaient qu’une seule secte.
  6. Les sabelliens, ainsi nommés du patriarche Sabellius, ne reconnaissaient pas les trois personnes divines.