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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/234

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quelque chose, mais encore quelque chose de grand. Elle conclut aussi que le premier péché, c’est-à-dire la première défaillance volontaire est la joie de la créature dans sa puissance propre ; car elle se complaît alors dans quelque chose de moindre que la puissance de Dieu. Ceux qui n’ont pas vu cela et qui considérant les puissances de l’âme humaine, la grande beauté de ses œuvres et de ses discours, n’ont pas osé placer le souverain bien dans le corps, mais l’ont placé en elle, ne l’ont pas moins mis plus bas que ne le demandait une droite et exquise raison. Parmi les philosophes grecs qui ont professé ce sentiment, on a remarqué les stoïciens, si nombreux et raisonneurs si subtils ; toutefois ils n’ont vu rien que de corporel dans la nature, et ils ont pu détourner l’âme de la chair plus que du corps.

16. Parmi les philosophes qui ont enseigné que notre unique et souverain bien consiste à jouir de Dieu, notre créateur et le créateur de toutes choses, les platoniciens occupent le premier rang ; ils ont cru avec raison qu’il leur appartenait de combattre les stoïciens, surtout les épicuriens, et presque exclusivement ceux-ci. Car il n’y a pas de différence entre les académiciens et les platoniciens ; cela se voit par la succession des écoles. Si vous cherchez le prédécesseur d’Arcésilas qui, le premier, cachant sa propre doctrine, s’attacha à combattre les épicuriens, vous trouverez Polémon ; le prédécesseur de Polémon, Xénocrate ; or Platon laissa l’Académie, son école, à Xénocrate son disciple. Dans cette question du souverain bien de l’homme, mettez donc de côté ce qui touche aux hommes et aux écoles et posez ce qui fait le fond du débat, vous trouverez deux erreurs aux prises, l’une plaçant le souverain bien dans le corps, l’autre dans l’âme ; mais toutes deux contraires à la raison vraie par laquelle on comprend que Dieu est notre souverain bien, et qu’avant d’enseigner le vrai il fait oublier ce qui est faux. Etablissez de nouveau la même question en considérant ce qui touche aux personnes, vous trouverez les épicuriens et les stoïciens acharnés entre eux ; et les platoniciens s’efforcent de juger le différend, mais ils ne s’expliquent pas sur la vérité et se contentent de reprendre et de blâmer la vaine confiance des autres dans leurs fausses opinions.

17. Mais les platoniciens ne purent pas remplir le rôle de la vérité comme les autres le rôle de l’erreur. Il leur a manqué à tous l’exemple d’une humilité divine, qui a éclaté au temps le plus favorable dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; devant cet exemple unique tout orgueil, si violent qu’il soit, plie, se brise et s’évanouit. L’autorité manquait donc aux platoniciens pour conduire à la foi des choses invisibles les multitudes aveuglées par l’attachement aux choses de la terre. De plus ils les voyaient excitées surtout par les disputes des épicuriens, non-seulement à rechercher le plaisir charnel, où elles se portaient d’elles-mêmes, mais encore à soutenir qu’il est le souverain bien de l’homme. D’un autre côté ils voyaient que ceux qui repoussaient cette doctrine du plaisir par des louanges données à la vertu contemplaient avec moins de difficulté cette vertu dans l’âme humaine d’où partaient les bonnes actions dont ils jugeaient comme ils pouvaient ; mais ils considéraient en même temps qu’en cherchant à insinuer quelque chose de divin et d’immuable, inaccessible aux sens, compréhensible pour l’esprit seul, quoique placé au-dessus de notre esprit ; qu’en montrant Dieu comme devant être la jouissance de l’âme humaine, purifiée de toute souillure de mauvais désirs, comme devant être le but unique de toutes nos aspirations et l’unique fin où sont réunis tous nos biens, ils ne seraient pas compris ; que la palme resterait beaucoup plus aisément aux épicuriens ou aux stoïciens contradicteurs, et qu’ainsi, pour le bonheur du genre humain, la véritable et salutaire doctrine, livrée à la moquerie des peuples ignorants, eût été avilie. Voilà pour la morale.

18. Quant aux questions sur l’origine de l’univers, s’ils avaient dit que la Sagesse incorporelle a été la créatrice de toutes choses, tandis que les autres philosophes, toujours attachés à la matière, leur auraient assigné pour causes premières, soit les atomes, soit les quatre éléments, et, par dessus tout, le feu ; qui ne voit de quel côté se serait précipitée la foule des insensés, adonnée au corps et incapable de reconnaître jamais une force créatrice dans une puissance spirituelle ?

19. Restait la partie qui touche au raisonnement ; car vous savez que l’étude par laquelle on acquiert la sagesse comprend les mœurs, la nature et le raisonnement. Les épicuriens soutiennent que les sens ne se trompent jamais ; les stoïciens accordaient que les sens se