Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

trompent quelquefois ; mais les uns et les autres plaçaient dans les sens la règle qui mène à la compréhension de la vérité : qui donc eût écouté les platoniciens en opposition avec ces deux écoles ? Qui les aurait mis, non pas au rang des sages, mais même au rang des hommes, s’ils avaient osé dire non-seulement qu’il existe quelque chose qui ne peut se percevoir ni par le toucher ; ni par l’odorat, ni par 1e goût, ni par les oreilles, ni par les yeux, et dont nous ne saurions nous retracer des images ; mais encore que cet invisible est le seul être véritable, le seul qui se puisse concevoir, parce qu’il est immuable et éternel, et qu’il se perçoit uniquement par l’intelligence, qui seule atteint la vérité, autant qu’elle puisse l’être ?

20. Les platoniciens se trouvaient ainsi attachés à un ordre d’idées qu’ils ne pouvaient ni enseigner à des hommes livrés à la chair ni imposer à la foi des peuples faute d’autorité ; en attendant que l’esprit fût disposé à le comprendre, ils aimèrent mieux cacher leurs propres sentiments et attaquer ceux qui se vantaient de la découverte de la vérité après l’avoir soumise aux sens. Et pourquoi chercher quelle fut leur pensée ? Elle ne fut certes ni divine ni appuyée d’aucune divine autorité. Considérez seulement que, d’après des témoignages très-nombreux et très-évidents de Cicéron, Platon a établi la fin du bien, les causes des choses et la certitude du raisonnement, non point dans la sagesse humaine, mais dans la sagesse divine d’où l’homme reçoit sa lumière, dans cette sagesse qui certainement est immuable, et dans cette vérité qui est possède toujours la même ; que les platoniciens ont combattu sous les noms d’épicuriens et de stoïciens ceux qui plaçaient dans la nature du corps ou même de l’esprit la fin du bien, les causes des choses et la certitude du raisonnement ; qu’enfin, avec le cours des temps, lorsque commença l’âge chrétien et que soutenu par des miracles visibles, on prêcha avec fruit la foi des choses invisibles et éternelles à des hommes qui ne pouvaient rien voir ni rien comprendre en dehors des corps, le bienheureux apôtre Paul, annonçant cette foi aux gentils, rencontra pour contradicteurs, d’après les Actes des apôtres, ces mêmes épicuriens et stoïciens.

21. C’est pourquoi il me paraît assez démontré que malgré leur grand nombre et leur diversité, les erreurs des gentils sur les mœurs, la nature des choses ou les moyens d’arriver à la vérité, se résumaient toutes dans les opinions des épicuriens et des stoïciens ; elles furent habilement et savamment attaquées par les platoniciens, mais elles durèrent cependant jusqu’à l’époque du christianisme. Au temps où nous sommes, elles sont si muettes que c’est à peine si dans les écoles des rhéteurs on rappelle en quoi elles consistaient ; les combats de paroles ont cessé jusque dans les bruyants gymnases des Grecs, et aujourd’hui toute secte qui s’élève contre la vérité, c’est-à-dire contre l’Église du Christ, n’ose entrer en lutte qu’en se couvrant du nom chrétien. D’où il faut conclure que les philosophes mêmes de la famille platonicienne doivent, après avoir changé le peu que le christianisme réprouve dans leurs doctrines, baisser pieusement la tête devant le Christ, ce seul roi qui ne puisse être vaincu ; ils doivent reconnaître que celui-là a été le Verbe de Dieu fait homme, qui a commandé et fait croire ce qu’ils n’osaient pas eux-mêmes exprimer tout haut.

22. C’est à lui, mon cher Dioscore, que je voudrais que vous fussiez entièrement et pieusement soumis ; je ne voudrais pas que, pour aller à la vérité, vous cherchassiez d’autres voies que les voies ouvertes par Celui qui, étant Dieu, a vu la faiblesse de nos pas. La première de ces voies c’est l’humilité[1] ; la seconde, l’humilité ; la troisième, l’humilité ; toutes les fois que vous m’interrogerez, je vous répondrai la même chose. Ce n’est pas qu’il n’y ait d’autres préceptes ; mais si l’humilité ne précède, n’accompagne et ne suit tout ce que nous faisons de bien ; si elle n’est pas comme un but vers lequel se portent nos regards, si elle n’est pas près de nous pour que nous nous attachions à elle, et au-dessus de nous pour nous réprimer dans la satisfaction de quelque bonne action, l’orgueil nous arrache tout de la main. Les autres vices naissent des péchés ; l’orgueil est redoutable dans le bien même : ce qu’on a fait de louable est perdu par le désir de la louange. De même donc qu’un illustre orateur’ à qui on demandait quel était le premier précepte à observer dans l’éloquence, répondit que c’était la prononciation ; interrogé sur le second précepte, il répondit encore : la prononciation ; et comme on lui demandait quel était le troisième, il dit qu’il n’y en avait

  1. Démosthène.