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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/245

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mais cette divinité est partout ; et de la sorte on peut dire dans ce système que Dieu est au ciel et sur la terre, à cause de cette divinité commune aux trois personnes et partout répandue ; toutefois on ne saurait dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont sur la terre, puisque le siège de cette Trinité ne se trouve que dans le ciel. Aux premiers efforts de la vraie raison pour secouer cette ouvre d’une pensée charnelle et ces vaines fictions, assistés et éclairés par Celui qui ne veut pas habiter en nous avec de telles images, nous nous hâtons de les briser et de dégager notre foi d’une pareille idolâtrie, sans souffrir qu’il reste dans nos âmes la moindre poussière de ces fantasques inventions.

8. Si la foi qui nous revêt de piété n’avait pas précédé dans notre cœur ce travail de la raison, avertissement extérieur mêlé à la lumière intérieure de la vérité, et par lequel nous découvrons la fausseté de ces opinions, n’est-ce pas inutilement que le vrai se ferait entendre à nous ? Mais parce que la foi a fait ce qui lui appartenait, il a été donné à la raison de découvrir quelques-unes des choses qu’elle cherchait ; et on doit sans aucun doute préférer à la fausse raison non-seulement la vraie raison par laquelle nous comprenons ce que nous croyons, mais encore la foi même de ce qui ne se comprend pas encore. Mieux vaut croire ce qui est vrai, sans l’avoir vu, que de prétendre voir ce qui est faux. Car la foi a des yeux par lesquels elle voit d’une certaine manière ce qu’elle ne voit pas encore, et par lesquels elle voit avec certitude qu’elle ne voit pas encore ce qu’elle croit. Mais l’homme qui, aidé de la vraie raison, comprend ce qu’il croyait seulement, est certainement plus avancé gaie celui qui en est à désirer comprendre ce qu’il croit ; si celui-ci ne le désire point et s’il pense qu’il faille se borner à la foi au lieu d’aspirer à l’intelligence, il ne sait pas à quoi sert la foi ; car la foi pieuse ne veut pas être sans l’espérance et sans la charité. C’est pourquoi l’homme fidèle doit croire ce qu’il ne voit pas encore, de façon à espérer et à aimer le voir.

9. Les choses visibles qui se sont montrées pour un temps et qui ont passé ne peuvent se saisir que par la foi, car on n’espère plus les voir ; on y croit comme à des choses faites et accomplies : ainsi nous croyons que le Christ est mort une fois pour nos péchés et qu’il est ressuscité, qu’il ne mourra plus et que désormais la mort n’aura sur lui aucun empire[1]. Mais il est des choses qui ne sont pas encore et qui doivent être comme la résurrection de nos corps spirituels : nous croyons à ces faits avec l’espérance de les voir, mais il n’est pas possible de les montrer. Parmi les choses qui ne passent point, qui ne sont point à venir, mais qui demeurent éternelles, il en est d’invisibles comme la justice, comme la sagesse ; il en est de visibles comme le corps immortel du Christ. Les invisibles se laissent voir dès qu’on les comprend et se laissent voir de la manière qui leur est propre ; et du moment qu’on les découvre, elles deviennent beaucoup plus certaines que celles qui frappent nos sens : on les appelle invisibles parce que des yeux mortels ne peuvent absolument les atteindre. Les choses visibles qui demeurent peuvent être vues des yeux du corps : c’est ainsi que le Seigneur, après sa résurrection, s’est montré à ses disciples comme, après son ascension, il s’est montré à l’apôtre Paul et au diacre Étienne[2].

10. Quoique ces choses visibles et permanentes ne soient pas démontrées, nous y croyons de façon à espérer que nous les verrons un jour ; nous ne faisons aucun effort de raison ou d’intelligence pour les comprendre ; nous songeons seulement à les distinguer des invisibles ; et quand par la pensée nous cherchons à nous les retracer telles qu’elles sont, nous reconnaissons assez qu’elles ne nous sont pas connues. Ainsi je pense à Antioche que je ne connais pas, mais je n’y pense pas comme à Carthage que je connais ; pour Antioche, ma pensée se représente une image de fantaisie, mais Carthage est pour moi un souvenir ; je suis aussi sûr de l’une, par l’affirmation de plusieurs témoins, que je suis sûr de l’autre, par le témoignage de mes yeux. Quant à la justice, à la sagesse et à quoi que ce soit de ce genre, il n’y a pas pour nous de différence entre imaginer et voir ; mais ces choses invisibles, comprises par l’application simple de l’esprit et de la raison, nous les apercevons sans figures ni masses corporelles, sans linéaments ni formes de membres, sans espaces d’aucune sorte, finis ou infinis. Cette lumière elle-même, par où nous discernons toutes ces choses, et où nous distinguons ce que nous croyons sans le connaître et ce que nous possédons avec pleine connaissance ; les formes

  1. Rom. VI, 9, 10.
  2. Matth. XXVIII ; Marc, XVI ; Luc, XXIV ; Jean, XX, XXI ; Act. IX, 3,4 ; VII, 55.