Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/246

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corporelles que nous nous rappelons et celles qu’imagine notre esprit ; ce que les sens peuvent atteindre et ce que l’âme se représente de semblable au corps ; ce que l’intelligence contemple de certain, quoique sans aucun rapport avec toute nature corporelle : cette lumière où nous voyons tout cela n’est pas comme un rayon de ce soleil, elle ne ressemble à aucune des clartés qui frappent nos yeux ; elle n’est pas de toutes parts répandue à travers les espaces et n’éclaire pas notre esprit avec de visibles rayons, mais invisiblement et ineffablement : elle brille pourtant d’une manière intelligible et nous est aussi certaine que tout ce que nous voyons à sa lueur.

11. II y a donc trois sortes de choses qui se voient : premièrement les choses corporelles, comme le ciel, la terre et tout ce, qu’on y peut voir et toucher avec les sens ; secondement les choses semblables aux corps, comme celles que l’esprit imagine en se représentant des corps dont il se souvient ou en cherchant à se retracer ce qu’il a oublié, et tels sont aussi les songes et les extases qui se mêlent à des images de lieux : troisièmement les choses qui n’ont ni corps ni aucune ressemblance avec le corps, comme la sagesse qu’on voit par la compréhension de l’intelligence, et dont la lumière sert de règle au jugement. Dans laquelle de ces trois sortes de choses faut-il placer ce que nous voulons connaître, la Trinité ? C’est assurément dans l’une d’elles ou bien dans aucune. Si c’est dans l’une d’elles, c’est certainement dans celle qui l’emporte sur les deux autres, comme la sagesse. Si cette sagesse est en nous un don de la Trinité, et un don moindre que cette suprême et immuable sagesse appelée la sagesse de Dieu, nous ne devons pas supposer que l’Auteur de ce don soit inférieur au dan lui-même : et si ce que nous appelons notre sagesse est une splendeur qui se reflète en nous de la même Trinité et que nous recevons, autant que nous en sommes capables, par le miroir et en énigme, il faut que nous distinguions les trois Personnes et de tous les corps et de tout ce qui ressemble à des corps, comme nous en distinguons notre propre sagesse.

12. Mais si la Trinité ne doit être placée dans aucune de ces trois sortes de choses et qu’elle soit invisible même à l’esprit, il nous faut d’autant moins croire qu’elle soit semblable aux natures corporelles ou à leurs images. Car elle n’est pas au-dessus des corps par la beauté ou la grandeur de la masse, mais par la différence de la nature ; et si elle est supérieure aux biens de notre âme, tels que la sagesse, la charité, la chasteté et les autres biens de ce genre que nous n’estimons pas d’après l’étendue et auxquels notre imagination ne prête pas des formes sensibles, mais que nous dégageons de toute matière lorsque nous voulons nous en former une juste idée ; combien plus n’est-il pas permis de la comparer à rien de ce qui touche à l’étendue et aux qualités des corps ! Toutefois, d’après le témoignage de l’Apôtre, elle n’est pas entièrement inaccessible à notre entendement : « Depuis la création du monde, dit l’Apôtre, les ouvrages de Dieu ont fait comprendre et ont rendu visibles ses invisibles grandeurs : on a pu y voir aussi sa puissance éternelle et sa divinité[1]. » La Trinité ayant donc fait et le corps et l’âme, elle est sans aucun doute supérieure à l’un et à l’autre ; et si l’âme, surtout l’âme humaine, raisonnable, intellectuelle, faite à l’image de la Trinité, n’est pas au-dessus de nos pensées et de notre pénétration ; mais si nous pouvons comprendre par l’esprit et l’intelligence ce qu’il y a de principal en elle, c’est-à-dire l’esprit lui-même et l’intelligence, peut-être n’y aura-t-il rien d’absurde à essayer, avec l’aide de Dieu, de nous élever jusqu’à concevoir notre Créateur. L’âme, dans cet effort, restera-t-elle court sur elle-même, et perdra-t-elle courage ? Elle se contentera alors de croire dans ce pèlerinage loin du Seigneur ; elle demeurera avec la foi jusqu’à ce que s’accomplisse la promesse faite à l’homme, et qu’elle s’accomplisse par Celui « qui peut faire plus que nous ne demandons et ne pensons[2]. »

13. Cela étant, je voudrais que vous lussiez d’abord les écrits déjà nombreux que j’ai composés sur cette question ; j’en ai d’autres consacrés à la même étude, mais la grande difficulté de la question ne m’a pas encore permis de les achever[3]. Pour le moment croyez avec une foi inébranlable que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont la Trinité et qu’ils ne sont qu’un seul Dieu ; qu’il n’y a pas de quatrième divinité qui leur soit commune, mais, que par un mystère ineffable, la Trinité est inséparable ; que le Père seul a engendré le Fils, que

  1. Rom. I, 20.
  2. Eph. III, 20.
  3. Saint Augustin fait évidemment allusion ici à son Traité de da Trinité, commencé dès l’année 400, et qui ne fut terminé qu’en 418.