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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/248

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être ailleurs que dans sa propre substance ; mais si elle est une substance, et qu’elle diffère des personnes, c’est une autre substance : ce qui n’est rien moins qu’une très-grave erreur. 17. Comprenez-vous difficilement la différence qu’il y a entre substance et qualité ? Vous comprendrez plus aisément que la divinité de la Trinité qu’on croit différente de la Trinité elle-même, mais commune aux trois personnes pour faire, non pas trois dieux, mais un seul Dieu, est une substance ou n’est pas une substance. Si elle est une substance, et qu’elle soit différente du Père, ou du Fils, ou du Saint-Esprit, ou de l’ensemble de la Trinité elle-même, elle est, sans aucun doute, une autre substance : c’est ce que la vérité rejette et condamne. Mais, si cette divinité n’est pas une substance et qu’elle soit elle-même Dieu, puisqu’elle est tout entière partout, et non pas la Trinité ; Dieu n’est donc pas une substance : quel catholique dirait cela ? De même, si cette divinité n’est pas une substance (et c’est parce qu’elle est commune aux trois personnes que la Trinité ne forme qu’un seul Dieu), on ne peut pas dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont une même substance, mais qu’ils ont une même divinité qui n’est pas une substance. Mais vous reconnaissez qu’il est vrai, qu’il est établi dans la religion catholique, que si le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul Dieu en trois personnes, c’est qu’ils sont inséparablement d’une seule et même substance, ou, si on aime mieux, d’une seule et même essence. Car plusieurs d’entre nous, et surtout les Grecs, disent que la Trinité, qui est Dieu, est plutôt une seule essence qu’une seule substance ; ils croient reconnaître quelque différence entre ces deux noms ; mais nous n’avons pas à examiner cela en ce moment ; qu’on appelle substance ou essence cette divinité qu’on croit autre chose que la Trinité elle-même, il s’en suivra toujours la même erreur ; car si elle est différente de la Trinité elle-même, elle sera une autre essence : à Dieu ne plaise qu’un catholique pense rien de pareil ! Il nous reste donc à croire que la Trinité est d’une même substance, de façon que l’essence elle-même ne soit autre chose que la Trinité. Quelque progrès que nous fassions dans cette vie pour la découvrir, nous n’en verrons jamais rien que dans un miroir et en énigme. Mais lorsque, selon les promesses de la résurrection, nous aurons commencé à prendre un corps spirituel, soit que nous la voyons avec l’intelligence, ou avec les yeux du corps, d’une façon miraculeuse et par la grâce ineffable d’un corps spirituel ; chacun de nous, en la voyant selon sa capacité, ne la verra jamais dans des espaces, ni plus grande d’un côté que de l’autre ; parce qu’elle n’est pas un corps et qu’elle est tout entière partout.

18. Vous dites encore dans votre lettre qu’il vous semble, ou plutôt qu’il vous semblait « que la justice n’est pas quelque chose de vivant comme substance et que vous ne sauriez vous représenter Dieu, nature vivante, comme semblable à la justice. La justice, dites-vous, ne vit pas en elle, mais en nous ou plutôt c’est nous qui vivons selon la justice, mais elle ne vit point par elle-même. » Vous allez vous-même vous répondre : voyez si on peut dire avec vérité que la vie elle-même n’est pas vivante, elle qui fait vivre tout ce qui vit. Je pense qu’il vous paraîtrait absurde de dire qu’on vive par la vie et que la vie ne vive pas. Mais si, au contraire, rien n’est plus vivant que ce qui fait vivre tout ce qui vit, songez, je vous prie, quelles âmes l’Écriture divine appelle des âmes mortes ; vous trouverez que ce sont les âmes injustes, impies, infidèles. C’est par elles que vivent les corps des impies dont il a été dit : « Que les morts ensevelissent leurs morts[1] ; » ce qui donne à entendre que les âmes injustes ne sont jamais sans quelque vie ; car les corps ne peuvent vivre que par une vie quelconque dont les âmes ne sauraient entièrement manquer, d’où on les appelle avec raison immortelles ; cependant on les dit mortes quand elles perdent la justice, parce que, malgré l’immortalité d’une vie quelconque des âmes, la justice est la plus grande, la plus véritable vie, et comme la vie des vies de ces âmes qui, étant dans les corps, donnent la vie à ces corps qui ne peuvent, par eux-mêmes, se soutenir. C’est pourquoi, s’il faut que les âmes aient en elles-mêmes une sorte de vie pour la communiquer aux corps qui meurent quand elles les quittent ; à plus forte raison on doit reconnaître que la véritable justice vit en elle-même : c’est d’elle que vivent les âmes, et, en la perdant, elles sont déclarées mortes, quoiqu’elles ne cessent pas de vivre, à quelque faible degré que ce soit.

19. Or cette justice, qui vit en elle-même,

  1. Matth, VIII, 22.