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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/247

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le Fils seul a été engendré du Père, mais que l’Esprit-Saint est l’Esprit du Père et du Fils. Et quelle que soit l’image corporelle qui puisse se mêler à vos pensées quand vous méditez sur ce mystère, chassez-la, désavouez-la, méprisez-la, rejetez-la, fuyez-la. Quand il s’agit de la connaissance de Dieu, ce n’est pas peu de chose, avant qu’on puisse savoir ce qu’il est, que de commencer par savoir ce qu’il n’est pas. Aimez beaucoup à comprendre ; car les Écritures elles-mêmes qui conseillent la foi avant l’intelligence des grandes choses, ne pourraient vous servir de rien si vous les entendiez mal. Tous les hérétiques en reconnaissent l’autorité ; ils croient les suivre et ne suivent que leurs propres erreurs ; ils ne sont pas hérétiques parce qu’ils les méprisent, mais parce qu’ils ne les comprennent pas.

14. Pour vous, mon très-cher fils, priez Dieu fortement et pieusement afin qu’il vous accorde la grâce de comprendre, et que les enseignements qui vous seront donnés du dehors vous deviennent profitables : « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont rien, mais Dieu est tout, Dieu qui donne l’accroissement[1]. » Nous lui disons : « Notre Père qui êtes aux cieux[2], » non point parce qu’il est là et n’est pas ici, lui qui est partout et tout entier par sa présence incorporelle ; mais nous voulons dire qu’il habite en ceux dont il soutient la piété, et ceux-là surtout sont dans les cieux : c’est là aussi qu’est notre conversation, si notre bouche est véridique quand elle répond que nous tenons haut notre cœur. Lors même que nous prendrions dans leur sens matériel ces paroles d’Isaïe : « Le ciel est mon trône, la terre est mon marche-pied[3], » nous devrions croire que Dieu est là et ici : cependant il ne serait point là tout entier, puisqu’ici seraient ses pieds ; ni tout entier ici, puisqu’il aurait là les parties supérieures de son corps. Cet autre passage doit faire disparaître toute pensée grossière : « Qui a mesuré le ciel avec sa main et la terre avec son poing[4] ? » Car qui peut s’asseoir sur sa main étendue ou poser ses pieds sur ce qu’il saisirait avec son poing ? Pour tomber dans ces absurdités, ce serait peu d’attribuer des membres humains à la substance de Dieu ; il faudrait encore lui prêter des membres monstrueux, de façon que sa main fût plus large que ses reins et son poing plus étendu que ses deux mains rapprochées. Le désaccord que présenterait le sens charnel de ces endroits de l’Écriture, nous avertit qu’il ne faut y chercher qu’un sens spirituel inexprimable.

15. Aussi quoique nous nous représentions avec des membres et sous une forme humaine le corps du Seigneur, sorti vivant du sépulcre et élevé dans le ciel, nous ne devons pas pourtant croire que le Christ est assis à la droite du Père, de manière que le Père paraisse assis à sa gauche. Dans cette béatitude qui surpasse tout entendement humain, la droite seule existe ; et une même droite est le nom d’une même béatitude. On donnerait également une interprétation absurde à ces paroles du Seigneur à Marie après la résurrection : « Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père[5], » si on pensait que le Seigneur après son ascension, eût voulu être touché par des femmes, comme avant son ascension il le fut par des hommes. Mais, quand le Seigneur a dit cela à Marie, qui figurait l’Église, il a voulu faire comprendre qu’il ne serait monté vers son Père que lorsqu’elle l’aurait reconnu comme égal au Père : c’est dans un tel sentiment de foi qu’elle l’a touché avec profit pour le salut ; elle l’aurait mal touché si elle n’avait vu en lui que ce qui paraissait dans sa chair. L’hérétique Photin l’a ainsi touché ; il a cru qu’il n’y avait qu’un homme dans Jésus-Christ.

16. Et si on peut donner à ces paroles du Seigneur une interprétation plus convenable et meilleure, toujours faut-il repousser sans hésitation le sentiment qui admet que la substance du Père est dans le ciel en tant que le Père est une des personnes de la Trinité, tandis que la divinité est non-seulement dans le ciel, mais partout ; comme si autre chose était le Père, autre chose sa divinité qui lui est commune avec le Fils et avec le Saint-Esprit ; comme si la Trinité habitait des espaces à la manière des corps et fût quelque chose de corporel, tandis que la divinité des trois personnes serait seule présente partout et partout tout entière comme étant seule incorporelle. Car si la divinité était une qualité des personnes (et Dieu nous garde de croire que dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit la qualité et la substance soient différentes !) si, dis-je, la divinité était une qualité des personnes, elle ne pourrait pas

  1. I Cor. III, 7.
  2. Matth. VI, 9.
  3. Isaïe, LXVI, 1.
  4. Isaïe, XI, 12.
  5. Jean, XX, 17.