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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/252

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les gentils n’avaient pas pu croire sans l’incrédulité des juifs, ou comme si Dieu, créateur de tous les hommes et qui veut les sauver tous et les conduire à la vérité (1), n’avait pas pu gagner les gentils et les juifs sans que ce fût aux dépens les uns des autres ; et aimés à cause de leurs pères ? S’ils ont été aimés, comment ne croient-ils pas et ne cessent-ils pas d’être ennemis de Dieu ? « N’ai-je pas haï, dit-il, ceux qui vous baissaient, ô Dieu ! et vos ennemis ne m’ont-ils pas fait sécher de douleur : ne les ai-je pas haï d’une haine parfaite [1] ? » Je crois que c’est la voix du Père qui parle au Fils dans ce passage du Prophète, qui plus haut avait dit de ceux qui croient : « Vos amis, ô Dieu ! ont été en honneur devant moi, et leur puissance s’est merveilleusement affermie[2]. » Que leur sert pour leur salut, qui ne s’obtient que par la foi et la grâce du Christ, d’être aimés de Dieu à cause de la foi de leurs pères ? Comment aimer utilement ceux qu’il est nécessaire de condamner pour s’être infidèlement séparés des prophètes et des patriarches de leur race et s’être faits les ennemis de l’Évangile du Christ ? S’ils sont chers à Dieu, comment périront-ils ? et s’ils ne croient point, comment ne périront-ils pas ? Si c’est à cause de leurs pères qu’ils sont aimés et non point par leur propre mérite, comment ne seront-ils pas sauvés à cause de leurs pères ? Mais lors même que Noé, Daniel et Job seraient au milieu d’eux, ils ne sauveraient pas des fils impies, seuls ils seraient sauvés[3].

12. Il est une autre chose qui me parait encore plus obscure, et que je vous prie de mettre en lumière. Je ne comprends pas du tout ce que dit l’Apôtre dans l’épître aux Colossiens : « Que nul ne vous séduise, en voulant marcher dans l’humilité et la religion des anges, en se mêlant de parler de ce qu’il ne sait point, enflé par les vaines imaginations d’un esprit charnel, et ne tenant pas au chef[4]. » De quels anges parle-t-il ? S’il est question des anges ennemis et mauvais, quelle est leur religion, quelle est leur humilité ? Et quel est le maître de cette séduction qui, sous je ne sais quel prétexte d’une religion angélique, enseigne comme choses vues et découvertes ce qu’il n’à pas vu ? Sans doute, ce sont les hérétiques qui suivent et professent les doctrines des démons, et qui, dans leurs conceptions inspirées par l’esprit du mal, donnent leurs fantaisies pour des réalités et les sèment dans des cœurs prompts à s’ouvrir au mal[5] : voilà ceux qui ne tiennent pas au chef, c’est-à-dire au Christ, source de la vérité, dont la doctrine ne saurait rencontrer que des agressions insensées. Voilà les aveugles, conducteurs d’aveugles[6], dont je crois qu’il a été dit : « Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes ruinées qui ne retiennent pas l’eau[7]. »

13. L’Apôtre ajoute plus bas : « Ne mangez pas, ne goûtez pas, ne touchez pas ces choses, qui toutes donnent la mort par l’usage même qu’on en fait, 1. I Tim. II, 4. selon les prescriptions et les enseignements des hommes ; elles ont une façon de sagesse dans leur superstition, et l’humilité : elles n’épargnent pas le corps et ne tiennent pas à honneur le rassasiement de la chair[8]. » Quelles sont ces prescriptions auxquelles le docteur de la vérité reconnaît de la sagesse tout en déclarant que la vérité religieuse n’est pas là ? Ne parle-t-il pas ici, peut-être, d’hommes semblables à ceux dont il dit dans l’épître à Timothée : « Ils ont l’apparence de la piété, mais ils en renient la vertu[9] ? » Je vous demande donc spécialement de m’expliquer mot à plot ces deux endroits de l’épître aux Colossiens, parce que le bien et le mal me paraissent y avoir été confondus. Quoi d’aussi louable que la raison de la sagesse, et quoi d’aussi exécrable que la superstition de l’erreur ? L’humilité qui plait tant à Dieu et qui est si digne de louanges dans la vraie religion est aussi attribuée, avec la raison de la sagesse, à ces hommes dont les doctrines et les actes sont assimilés à une nourriture de mort[10], parce qu’ils ne viennent pas de Dieu, et que tout ce qui ne vient pas de la foi est péché[11]. Mais Dieu a dissipé les conseils des sages[12] qui sont des insensés devant lui, car leur prudence est celle de la chair qui ne peut être soumise à la loi de Dieu[13] ; il sait les pensées des hommes, il sait qu’elles sont vaines[14]. Je demande quelle humilité, quelle raison de sagesse peuvent sortir selon l’Apôtre, d’une superstition venant de la doctrine des hommes. Je comprends peu ce qu’il dit par ces mots : Ne pas épargner le corps, ne pas tenir à honneur le rassasiement de la chair; parce qu’il y a, selon moi, une grande distinction à faire dans ce passage : car je crois que par ces paroles : Ne pas épargner le corps, il entend les abstinences feintes ou inutiles, comme les hérétiques ont coutume d’en pratiquer ; les mots qu’il ajoute : non avec honneur, expriment l’état de ceux qui, accomplissant des œuvres saintes en apparence, mais sans véritable foi, ne recueillent ni fruit ni honneur ; ils agissent sous le coup d’un blâme mérité pour leurs détestables erreurs, et se transforment en ministres de justice. Lorsqu’il parle de rassasiement de la chair, il me parait contredire ses conseils qui tendent à ne pas épargner le corps. Celui-là, en effet, n’épargne pas le corps, qui dompte la chair par les jeunes, selon ces paroles du même apôtre : « Je châtie mon corps et le réduis en servitude[15]. » Il y a loin de là au rassasiement de la chair. Peut-être cependant que, pour lui, rassasier sa chair, chose indigne surtout de ceux qui font profession de piété, c’est ne pas épargner le corps, dans le sens honorable où l’Apôtre recommande ailleurs à chacun de posséder honnêtement le vase de son corps[16] et de l’offrir à Dieu comme une hostie vivante qui lui soit agréable[17] : ceci ne serait pas le rassasiement de la chair, car l’âme perd la tempérance, et la chasteté est bien difficile avec un corps trop bien nourri.

14. Il me reste à proposer à votre béatitude quel quelques

  1. Ps. CXXXVIII, 21, 22.
  2. Ps. CXXXVIII, 17.
  3. Ezéch. XIV, 14, 18.
  4. Coloss. II, 18, 19.
  5. I Tim. IV, 1, 2.
  6. Matth. XV, 14.
  7. Jérém. II, 13.
  8. Col. II. 21, 22, 23.
  9. II Tim. III, 5.
  10. Coloss. II, 21, 22.
  11. Rom. XIV, 23.
  12. Ps. XXXII, 10.
  13. Rom. VIII, 7.
  14. Ps. XCIII, 11.
  15. I Cor. IX, 27.
  16. I Thess. IV, 4.
  17. Rom. XII, 1.