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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/575

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fortement dans leurs âmes : il tenait à les mettre en garde contre ceux qui répétaient que le jour du Seigneur était proche, de peur que, ne voyant rien venir au temps annoncé, les fidèles ne crussent que de fausses promesses leur avaient été faites, et qu’ils ne désespérassent de la récompense de leur foi. Ce n’est donc pas aimer l’avènement du Seigneur que de dire qu’il est proche ou qu’il est éloigné ; mais on l’aime lorsqu’on l’attend, qu’il soit proche ou non, avec la sincérité de la foi, la fermeté de l’espérance, l’ardeur de l’amour. Car si on aime d’autant plus le Seigneur qu’on croit et qu’on prêche davantage que son avènement sera prochain, ceux qui disaient que ce jour était proche aimaient donc bien mieux Jésus-Christ que ceux auxquels l’Apôtre défendait de croire à de fausses rumeurs, ou que l’Apôtre lui-même qui n’y croyait pas.

16. Si je ne craignais d’être pour vous une fatigue, je vous demanderais de vouloir bien m’expliquer plus clairement ce que vous entendez quand vous dites que personne ne peut supputer les temps. Peut-être vous et moi pensons-nous ici de même, et c’est en vain que nous attendons l’un de l’autre un peu de lumière. Car vous ajoutez : « L’Évangile dit : Personne ne sait ni le jour ni l’heure[1] ; mais moi, autant que me le permet la faiblesse de mon intelligence, je dis qu’on ne peut savoir ni le mois ni l’heure de l’avènement du Sauveur. » Il semble que cela veuille dire qu’on ne peut pas savoir en quelle année viendra le Seigneur, mais qu’on peut savoir en quelle semaine ou quelle décade d’année, comme si on pouvait dire que ce sera dans sept ans ou dans dix ans. S’il n’est pas possible d’en marquer l’époque de si près, je demande si on peut dire au moins que l’avènement du Seigneur aura lieu dans tel espace de cinquante ou de cent ans, ou dans un plus grand ou plus court espace d’années, mais sans pouvoir fixer l’année précise. Si vous avez pu pénétrer aussi avant, vous avez fait un grand pas dans la connaissance du secret qui nous occupe : et je vous demande de vouloir bien me communiquer les preuves sur lesquelles vous vous appuyez : si au contraire vous ne pensez pas être parvenu à ce degré de lumière, nous sommes tous deux au même point.

17. Que les temps où nous sommes soient les derniers temps, nous le voyons, nous tous, hommes de foi ; nous le voyons d’après les signes que l’Évangile nous marque comme les avant-coureurs de l’avènement de Jésus-Christ. Mais si, après mille ans, le monde devait finir, nous pourrions dire encore que ce temps est le dernier, que ce jour est le dernier jour, parce qu’il est écrit : «. Mille ans devant vos yeux sont comme un jour[2], » et tout ce qui arriverait durant ces mille ans pourrait être considéré comme arrivé au dernier temps ou au dernier jour. Je dis encore une fois, ici, ce qu’il faut souvent répéter dans cette question, c’est qu’il y a déjà de longues années que le bienheureux Jean l’Évangéliste a dit : « La dernière heure est venue[3]. » Si nous avions été alors sur la terre et que nous eussions entendu cette parole de saint Jean, aurions-nous cru que tant d’années s’écouleraient encore et n’aurions-nous pas espéré voir le Seigneur du vivant même de saint Jean ? L’Apôtre ne disait pas : le dernier temps est venu, ou la dernière année, ou le dernier mois, ou le dernier jour, mais il disait : « La dernière heure est venue. » Combien cette heure est longue ! Pourtant l’apôtre Jean n’a pas menti : il faut comprendre que le mot heure signifie dans sa bouche le temps. Quelques-uns croient que ce jour de saint Jean comprend six mille ans : en le divisant en douze heures, la dernière heure ; serait de cinq cents ans. C’est donc dans cet espace d’années que se serait trouvé saint Jean, selon ces commentateurs, lorsqu’il disait : « La dernière heure est venue. »

18. Mais autre chose est de savoir, autre chose est de conjecturer. Si six mille ans sont comptés pour un jour, pourquoi ne les diviserions-nous pas en vingt-quatre heures au lieu de douze ? La dernière heure, au lieu d’être de cinq cents ans, serait de deux cent cinquante ans. Car, ce qu’on appelle un jour ce n’est pas la durée depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, mais c’est l’espace compris entre un lever et l’autre : ce qui nous donne pour la totalité d’un jour vingt-quatre heures. La dernière heure dont parlait saint Jean serait donc passée depuis soixante et dix ans au moins, et pourtant la fin du monde n’est pas encore venue. Ajoutez à cela que, d’après l’étude attentive de l’histoire ecclésiastique, l’apôtre Jean est mort longtemps avant que cinq mille cinq cents ans se fussent écoulés depuis

  1. Matth. XXIV, 36
  2. Ps. LXXXIX, 4.
  3. I Jean, II, 18