Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais. » Nous trouvons toutes ces pensées dans le récit de saint Luc, qui cite presque textuellement ces mêmes paroles attribuées à Jean-Baptiste. Quand les deux Évangélistes diffèrent pour les termes, ils ne diffèrent nullement pour le sens. Ainsi, selon le premier, le précurseur parle de cette manière : « Ne songez pas à dire en vous-mêmes Nous avons pour père Abraham ; » et, selon le second : « Ne vous mettez pas à dire : Nous avons pour père Abraham. » Ainsi, quand, plus loin, le texte de saint Matthieu nous présente ces paroles : « Moi, je vous baptise dans l’eau pour vous amener à la pénitence ; » celui de saint Luc montre d’abord les différentes classes de la foule demandant ce qu’elles doivent faire, et rappelle que Jean les engagea à multiplier les bonnes œuvres comme des fruits de pénitence ; particularités que saint Matthieu ne rapporte pas : puis, à l’encontre de cette fausse idée que Jean pourrait bien être le Messie, viennent les mêmes paroles Moi, je vous baptise dans l’eau ; » sans être accompagnées des mots : « Pour vous amener à la pénitence. » Selon saint Matthieu, le précurseur dit ensuite : « Celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi ; » et selon saint Luc : « Il en vient un autre qui est plus puissant que moi. » Nous lisons dans saint Matthieu ; « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure ; » et dans saint Luc : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure », paroles que reproduit aussi saint Marc, tout en omettant beaucoup d’autres détails. Car, après avoir parlé du vêtement et de la nourriture du précurseur, il ajoute : « Et Jean prêchait en disant : Il en vient un autre derrière moi, qui est plus puissant que moi ; et je ne suis pas digne, en me prosternant devant lui, de délier les cordons de sa chaussure. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui, vous baptisera dans le Saint-Esprit. » Pour ce qui regarde la chaussure, il diffère donc de saint Luc, par cette addition En me prosternant devant lui. » Au sujet du baptême il diffère de saint Luc et de saint Matthieu en ce qu’il ne dit pas : « Et dans le feu », mais seulement : « dans le Saint-Esprit. » Saint Luc nous fait lire aussi bien que saint Matthieu et suivant le même ordre : « Il vous baptisera dans, l’Esprit et dans le feu. » Toute la différence c’est que le mot Saint », n’est pas dans le récit de saint Luc comme dans celui de saint Matthieu, où nous trouvons : « Il vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu[1]. » L’Évangéliste saint Jean confirme les trois récits, dans ce passage : « Jean-Baptiste lui rend témoignage en s’écriant : Voilà celui dont je vous disais : Celui qui vient après moi, m’a été préféré parce qu’il était avant moi[2]. » Par là, en effet, l’Évangéliste déclare que Jean-Baptiste a prononcé ces paroles dans le temps où les trois autres les lui font dire, et qu’ensuite il les a rappelées et répétées quand, il s’est écrié : « Voilà celui dont je vous disais : Celui qui vient après moi, etc. »

27. Demanderait-on maintenant quelles sont les paroles qu’a prononcées Jean-Baptiste ; celles de saint Matthieu, ou celles de saint Luc, ou celles de saint Marc dans le peu de citations qu’il t’ait ? Pour ne pas se préoccuper de cette question, il suffit de comprendre que la connaissance de la vérité résulte des pensées elles-mêmes et non des termes dans lesquels elles sont formulées. En effet, tel évangéliste n’est pas contraire à tel autre, parce qu’on trouve dans sa relation un ordre différent. De même il n’y a pas d’opposition, quand l’un rapporte ce que l’autre passe sous silence. Il est évident, en effet, que chaque évangéliste a écrit suivant ses souvenirs, et a donné son récit en plus ou moins de mots, selon qu’il était porté à l’étendre ou à l’abréger, tout en présentant néanmoins la même pensée.

28. De là ressort assez clairement une observation très-importante. Puisque la vérité de l’Évangile est parvenue au plus haut point d’autorité, par là même qu’elle repose sur la parole de Dieu, sur cette parole qui, subsistant éternelle et immuable au-dessus de toute créature, a été par l’intermédiaire de la créature communiquée au moyen de signes temporels et du langage humain, nous ne devons accuser personne de mensonge, quand plusieurs, venant à faire le récit d’une même chose qu’ils se souviennent d’avoir vue ou entendue, ne le font pas de la même manière ni dans les mêmes termes ; soit que la différence regarde la narration ; soit que des mots se trouvent remplacés par d’autres mots équivalents ; soit que tel narrateur omette une particularité qui ne se présente pas à sa mémoire ou qui pourra se comprendre d’après les autres parties du récit ; soit qu’en faveur de certains points qu’il se propose surtout de raconter, chacun veuille, afin de pouvoir y donner le temps convenable, ne

  1. Mat. 3, 3-12 ; Mrc. 1,6-8 ; Luc. 3, 7-17
  2. Jn. 1, 15