Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/161

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toucher que légèrement d’autres détails et non les développer entièrement ; soit que, pour éclaircir la pensée et la mettre dans tout son jour, l’un d’eux, sans rien ajouter aux choses elles-mêmes, ajoute cependant au simple récit, des paroles qui les font mieux connaître ; soit que, gardant bien la mémoire des faits dont il a été témoin, il ne puisse malgré ses efforts se rappeler aussi, pour les reproduire littéralement, tous les discours qui ont frappé ses oreilles. Si l’on prétend que les évangélistes devaient, sous l’action de l’Esprit-Saint, jouir du privilège de ne pas différer l’un de l’autre, même dans la nature, l’ordre et le nombre des expressions, c’est qu’on ne comprend point que plus est grande l’autorité des évangélistes, plus il importe aux autres hommes dans l’exposition de la vérité d’être rassurés par leur exemple ; pour n’avoir aucunement à redouter l’accusation de mensonge, quand ils différeront entre eux dans le narré d’un même fait comme les écrivains sacrés, dont l’exemple pourra les justifier. Comme il n’est permis ni de dire ni de penser qu’un évangéliste a menti, on devra reconnaître, qu’un homme n’aura pas menti non plus, quand il lui sera arrivé pour ses souvenirs ce qu’on sait être arrivé aux évangélistes. Et plus la morale exige qu’on s’abstienne du mensonge, plus il est à propos qu’un exemple de si haute autorité nous ait été mis sous les yeux ; pour régler notre jugement et nous empêcher de crier au mensonge lorsque plusieurs récits d’un événement nous offrent des différences semblables à celles des quatre Évangiles ; pour nous faire aussi comprendre, ce qui intéresse au plus haut point l’enseignement de la foi, que nous devons moins chercher et considérer l’exacte conformité des termes que la vérité des choses ; quand nous pouvons dire que sans user du même langage, plusieurs ont énoncé cependant la même vérité pour s’être accordé sur le fond et les pensées.

29. Qu’y a-t-il donc qui doive paraître contraire dans ces passages des évangélistes que je viens de mettre en regard ? Faut-il voir une opposition entre celui qui fait parler ainsi Jean-Baptiste : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure ; » et ceux qui lui font dire : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ? » Il semble, en effet, qu’il y a, non pour les termes, ni l’ordre des mots, ni certaine forme particulière de langage, mais dans la chose elle-même une différence entre porter la chaussure », et « délier les cordons de la chaussure. » On peut donc avec raison demander ce que Jean-Baptiste a dit qu’il n’était pas digne de faire ; si c’est ale porter la chaussure ou d’en délier les cordons. Car s’il n’a dit que l’une des deux choses, celui-là seul qui a pu la rapporter parait être le narrateur véridique : et celui qui a écrit l’autre, sera regardé, sinon comme ayant voulu tromper, du moins comme ayant été trompé par une mémoire infidèle. Mais il faut écarter des évangélistes toute erreur, non-seulement celle qui résulte du mensonge, mais celle même qui vient de l’oubli ; c’est pourquoi, s’il importe d’entendre sous les expressions porter la chaussure » et délier les cordons de la chaussure », deux idées vraiment différentes, que penserons-nous devoir conclure pour ; l’exacte intelligence des récits évangéliques, sinon que Jean-Baptiste a dit l’une et l’autre chose, soit dans plusieurs discours, soit dans les mêmes ? Car il a pu parler ainsi : Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ni de la porter. Alors les évangélistes en rappelant, l’un la première proposition, l’autre la seconde, ont tous également fait un récit véridique. Cependant, en parlant de la chaussure du Seigneur, Jean-Baptiste a eu seulement en vue de montrer la grandeur suprême du Seigneur et sa propre bassesse ; qu’un évangéliste ait écrit : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure », ou : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, », il a toujours rendu la même idée, exprimé le même sens, quand, mettant dans la bouche du précurseur un langage quelconque au sujet des souliers du divin Maître, il a également fait ressortir son intention de montrer combien Jésus lui était supérieur. Une règle dont le souvenir sera d’un très-grand avantage dans tout le cours de ce traité sur l’accord des évangélistes, c’est donc de ne pas regarder comme erroné le langage de celui qui en faisant, certains changements aux dis cous d’un personnage, expose néanmoins son idée et son intention, aussi exactement que celui qui rapporte rigoureusement toutes ses paroles ; par là nous apprenons avantageusement qu’il ne faut chercher qu’à se rendre compte de la pensée et de la volonté de celui qui parle.

CHAPITRE XIII. DU BAPTÊME DE JÉSUS.

30. Saint Matthieu continue ainsi : « Alors Jésus vint de Galilée près du Jourdain trouver