Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/176

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du chef de synagogue, pour se présenter immédiatement. Aussi la transition de saint Matthieu montre clairement par elle-même que ce qu’il va raconter fait suite à ce qu’il a raconté. Il vient de rapporter les paroles du Sauveur au sujet de l’étoffe neuve et du vin nouveau, puis il ajoute aussitôt : « Tandis qu’il leur disait ces choses, un prince de la synagogue l’aborda. » Mais si cet homme l’aborda quand il disait ces paroles, il n’y eut pas d’intervalle pour d’autres discours ni pour d’autres actions. Au contraire dans le récit de saint Marc, comme déjà nous l’avons montré, il y a place pour des événements intermédiaires. De même saint Luc, en passant du miracle opéré chez les Géraséniens à ce qui regarde la fille du chef de synagogue, ne le fait pas de manière à contredire saint Matthieu, qui présente ce dernier fait comme ayant suivi les comparaisons de l’étoffe neuve et du vin nouveau, en disant : « Comme Jésus parlait ainsi. » En effet, quand saint Luc a fini de raconter ce qui eut lieu chez les Géraséniens, il aborde de cette manière l’autre sujet : « Jésus, dit-il, étant revenu dans la Galilée, le peuple le reçut avec joie parce qu’ils l’attendaient tous. Et un homme appelé Jaïre, qui était chef de synagogue, vint à lui, et tombant à ses pieds, il le priait, etc[1] ; »De ce texte on conclut qu’à la vérité le peuple reçut alors avec joie le Seigneur dont il attendait impatiemment le retour ; mais ce qu’ajoute l’évangéliste : « Et un homme appelé Jaïre, etc » ne doit pas être pris comme une chose qui suivit immédiatement. Il faut faire précéder ce fait du festin où parurent les publicains et dont le texte de saint Matthieu rie permet pas de le séparer.

65. Au sujet de cette femme qui était affligée d’une perte de sang et dont l’histoire nous est présentée au milieu de la narration qui maintenant nous occupe, l’accord des trois évangélistes ne donne lieu à aucune question. Peu importé à la vérité que tel détail relevé par l’un, ne le soit point par l’autre ; que saint Marc fasse dire à Jésus : « Qui a touché mes vêtements ? » et saint Luc : « Qui m’a touché ? » L’un a usé du langage ordinaire, et l’autre a employé les termes propres. Car nous disons plus ordinairement : Vous me déchirez, que : Vous déchirez mes vêtements ; et il est hors de doute que tout le monde comprend alors notre pensée.

66. Mais d’après saint Matthieu le prince de la synagogue vint dire au Seigneur non pas que sa fille était en danger de mort, ou qu’elle était mourante, ou qu’elle rendait le dernier soupir, mais bien qu’elle était déjà morte ; et suivant les deux autres elle était à l’article de la mort, mais encore vivante cependant ; au point que leurs récits nous parlent des gens qui arrivèrent ensuite pour annoncer qu’elle était morte, et dire qu’il ne fallait pas davantage tourmenter le Maître, comme s’il fût venu non avec le pouvoir de la rendre à la vie du moment qu’elle serait morte, mais pour l’empêcher de mourir en lui imposant les mains. Afin d’écarter toute apparence de contradiction, il faut comprendre que saint Matthieu pour abréger a mieux aimé dire que le prince de synagogue pria le Seigneur de faire ce qu’il fit en effet lorsqu’il ressuscita sa fille. L’évangéliste ne considère pas tant les paroles que l’intention de ce père ; et il lui prête un langage conforme à ses pensées. Jaïre aussi bien avait tellement désespéré de sa fille, qu’il avait plutôt dessein de demander une résurrection qu’une guérison ; ne croyant pas la retrouver en vie après l’avoir laissée mourante. Saint Marc et saint Luc ont donc reproduit ses paroles ; saint Matthieu a exprimé sa pensée et sa volonté. Ainsi demanda-t-il également au Seigneur ou de guérir sa fille mourante ou de la rendre à la vie si elle était morte ; mais saint Matthieu se proposant de tout dire en peu de mots, fait demander au père ce qu’il voulait certainement, et ce que fit le Christ. Sans aucun doute, si, d’après les deux autres évangélistes ou l’un des deux, le père avait dit lui-même, ce que les gens de sa maison vinrent lui représenter, qu’il ne fallait plus importuner Jésus, parce que la fille était morte, le texte de saint Matthieu contredirait la pensée de Jaïre ; mais on ne lit pas qu’il se soit rendu aux observations de ceux qui en venant lui apporter la triste nouvelle, lui disaient de ne plus faire d’instance près du Maître. On voit encore par là que quand le Seigneur dit à Jaïre : « Ne crains pas ; crois seulement, et elle sera sauvée ; » il ne lui reprochait pas de défiance ; mais voulait affermir sa foi. La foi chez lui était la même que chez cet autre qui, en demandant la délivrance de son fils, dit à Jésus : « Je crois Seigneur, mais suppléez vous-même ce qui manque à ma foi[2]. »

67. Puisqu’il en est ainsi ; ces différentes manières, de parler, qui n’empêchent pas les évangélistes d’être d’accord entr’eux, donnent lieu à une observation bien utile et bien nécessaire.

  1. Luc. 7, 40-56
  2. Mrc. 9, 23