Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’est que dans le langage de qui que ce soit, il faut considérer seulement l’intention, que les mots sont destinés à exprimer, et qu’on n’est pas menteur pour rendre en d’autres termes ce qu’a voulu dire quelqu’un dont on n’emploie pas les expressions. Il est certain que, non-seulement dans les paroles, mais dans tous les autres signes des pensées, on ne doit chercher que la pensée elle-même ; et c’est être misérable que de tendre pour ainsi dire aux mots et de se représenter la vérité comme enchaînée à des accents.

68. On lit dans plusieurs exemplaires de saint Matthieu : « Cette femme n’est point ; morte, mais elle dort. » Comme saint Marc et saint Luc déclarent que la fille dont il s’agit avait douze ans, il faut voir dans l’expression employée par saint Matthieu une locution hébraïque. Aussi bien, dans d’autres passages de l’Écriture ce terme désigne, non-seulement celles qui ont eu commerce avec un homme mais les vierges elles-mêmes. Il est dit d’Eve : « Et de la côte qu’il avait tirée d’Adam, le Seigneur Dieu bâtit la femme[1]. » Au livre des Nombres il est ordonné d’épargner les femmes, mulieres, qui n’ont point connu d’homme, c’est-à-dire les vierges[2] ; et saint Paul donne le même sens à ce mot quand il dit que Jésus-Christ est né d’une femme, ex muliere[3]. Mieux vaut comprendre ainsi la variante de saint Matthieu que de regarder cette fille de douze ans comme étant déjà mariée, ou n’étant plus vierge.

CHAPITRE XXIX. DES DEUX AVEUGLES ET DU DÉMON MUET DONT PARLE SEUL SAINT MATTHIEU.

69. Saint Matthieu continue ainsi : « Comme Jésus sortait de là, deux aveugles le suivirent et ils criaient : Fils de David, ayez pitié de nous ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons ces mots : « Mais les Pharisiens disaient : « Il chasse les démons par la vertu du prince des démons[4]. » Saint Matthieu est le seul qui ait parlé de ces deux aveugles et du démon muet. Car les deux aveugles dont il est question dans saint Marc et dans saint Luc[5], ne sont pas les mêmes que ceux-ci. Il s’agit néanmoins d’un fait qui s’est accompli dans des conditions toutes semblables : et si saint Matthieu ne l’avait également relevé[6], on pourrait croire que saint Marc et saint Luc ont voulu raconter ce que lui-même expose ici. Remarquons bien et n’oublions pas qu’il y a dans l’histoire évangélique certains faits qui se ressemblent. Nous en avons la preuve quand nous les trouvons relatés par le même Évangéliste. Et si telle ou telle circonstance met de l’opposition entre deux écrivains sacrés pour un fait qui parait le même, sans qu’on puisse les concilier sur ce point, nous devons penser qu’il ne s’agit pas du même fait, mais d’un autre qui est semblable ou qui s’est accompli semblablement.

CHAPITRE XXX. MISSION CONFIÉE AUX DISCIPLES.

70. On ne voit point si maintenant l’Évangéliste continue à suivre l’ordre des événements. Car après avoir parlé des deux aveugles et du démon muet, il reprend ainsi : « Or Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades, enseignant dans leurs synagogues, prêchant le royaume de l’Évangile et guérissant toutes sortes de maladies et d’infirmités. Voyant ces troupes de peuples il en eut compassion, parce qu’ils étaient accablés et abattus comme des brebis qui n’ont point, de pasteur. Alors il dit à ses disciples : La moisson est abondante, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers. Puis ayant appelé ses douze disciples, il leur donna puissance sur les esprits impurs », et le reste, jusqu’à ces mots : « Je vous le dis en vérité, il ne sera point privé de sa récompense[7]. » Dans tout ce passage on trouve un grand nombre de recommandations adressées aux disciples : mais je le répète, on ne voit pas si l’évangéliste suit dans sa narration l’ordre des événements ou l’ordre de ses souvenirs. Saint Marc parait avoir résumé en peu de mots ce passage ; et voici comme il aborde ce sujet : « Jésus cependant allait enseigner partout dans les bourgades des environs. Or, ayant appelé les douze, il commença à les envoyer deux à deux et leur donna puissance sur les esprits impurs ; » et le reste, jusqu’aux paroles : « Secouez la poussière de vos pieds, afin que ce soit un témoignage contre eux[8]. » Mais avant de faire ce récit, et après avoir rapporté la résurrection de la fille de Jaïre, saint Marc nous montre Jésus venant en son pays,

  1. Gen. 2, 22
  2. Nom. 31, 18
  3. Gal. 4, 4
  4. Mat. 9, 27-34
  5. Mrc. 10, 46-62 ; Luc. 18, 35-43
  6. Mat. 20, 29-34
  7. Mat. 9, 35 ; 10, 42
  8. Mrc. 6, 6-11