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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/218

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faisant victime de cette tristesse profonde, il représentait son corps mystique, l’Église, dont il est la pierre angulaire, et qui devait se composer, soit d’Hébreux dont le cri est : Abba, soit de, Gentils, figurés par le mot qu’ils prononcent Père[1]. Saint Paul a saisi ce mystère, puisqu’il dit lui-même, en parlant de Dieu : « En qui nous crions Abba, Père[2] ; » ailleurs il ajoute : « Dieu a envoyé dans vos cœurs son Esprit, criant : « Abba, Père.[3] » Ne fallait-il pas que Jésus, le bon maître et le véritable Sauveur, tout compatissant pour les faibles, prouvât dans sa propre personne, que les martyrs ne doivent pas désespérer, quant au moment de leurs souffrances ils sentent la tristesse s’emparer de leur cœur ; et qu’ils s’efforcent d’en triompher par la soumission de leur volonté à la volonté de Dieu, en se rappelant que Dieu sait les besoins de ceux qu’il protège ? Mais – ce n’est pas le lieu de développer plus longuement cette pensée ; le sujet qui nous occupe, c’est l’accord des évangélistes ; et si nous remarquons entre eux une certaine diversité, cette diversité nous apprend à ne chercher la vérité, que dans la pensée de celui qui parle. C’est ainsi que ces deux mots : « Abba, Père », ont la même signification ; mais si nous avons spécialement en vue le mystère, les d’eux réunis, « Abba, Père », semblent mieux appropriés ; si nous voulons signifier l’unité, le mot Père suffit. Nous devons croire que le Sauveur a prononcé ces deux mois ; cependant il manquerait quelque chose à l’idée exprimée, si les autres évangélistes, en se contentant du mot Père, n’avaient montré clairement, que ces deux Églises des Juifs et des Gentils maintenant n’en forment plus qu’une. En prononçant ces deux termes : « Abba, Père », le Seigneur énonçait ce qu’il a dit formellement ailleurs : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce troupeau ; » ces brebis, ce sont les Gentils, car le peu qu’il en avait alors appartenaient au peuple d’Israël. En ajoutant : « Il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur[4] », il formulait plus longuement ce qui est renfermé dans ce seul mot : « Père », l’unité de troupeau et de société, comme il avait exprimé la pluralité par ces deux mots : « Abba, Père », l’un Hébreu, l’autre Gentil.

CHAPITRE V. ON SE SAISIT DE JÉSUS.

15. « Le Sauveur parlait encore, disent saint Matthieu et saint Marc, et voici que Judas, l’un des douze, se présenta, accompagné d’une foule nombreuse, armée de glaives et de bâtons, et envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. Or, celui qui le livra, leur avait donné ce signal : Celui que j’embrasserai, c’est lui-même, emparez-vous de lui. Et s’approchant de Jésus, il lui dit : Je vous salue, maître, et il l’embrassa[5]. » La première parole que Jésus prononça, c’est celle-ci, rapportée par saint Luc : « Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser[6] ; » la seconde est celle de saint Matthieu : « Mon ami, pourquoi est tu vend ? » Enfin une troisième parole nous est conservée par saint Jean : « Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi. Or, au milieu d’eux se trouvait Judas, qui le livrait. Quand donc il leur eut dit : C’est moi ; ils allèrent à la renverse et tombèrent à terre. Après cela, il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Afin que cette parole qu’il avait prononcée, fut accomplie : Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés[7]. »

16. « Or, dit saint Luc, ceux qui l’environnaient, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : Seigneur, si nous – frappions de l’épée ? Et l’un d’eux », les quatre évangélistes sont unanimes sur ce point, « frappa un serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille droite », disent saint Luc et saint Jean. Or, selon saint Jean, celui qui frappa ainsi, ce fut saint Pierre, et celui qu’il frappa, se nommait Malchus. D’après saint Luc, « Jésus élevant la voix leur dit : Laissez aller jusque-là », et d’après saint Matthieu il continua ainsi : « Remets ton épée dans le fourreau. Car tous ceux qui auront pris l’épée, périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m’enverrait aussitôt plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliront les Écritures, qui ont annoncé qu’il doit en être ainsi ? » On peut ajouter à cela ce que rapporte saint Jean : « Ce calice que mon Père

  1. Eph. 2, 11-22
  2. Rom. 8, 15
  3. Gal. 4, 6
  4. Jn. 10, 16
  5. Mat. 26, 47-56 ; Mrc. 14, 13-50
  6. Luc. 22, 47-53
  7. Jn. 18, 2-11