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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/456

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ou trois chiens. Car nous ne désignons sous un seul nom au pluriel que les objets auxquels le sens de ce nom peut s’appliquer en commun. Or, ce qu’Abraham, Isaac et Jacob ont de commun, c’est d’être homme ; voilà pourquoi on les appelle trois hommes ; ce que le cheval, le bœuf et le chien ont de commun, c’est d’être animal, voilà pourquoi on les appelle trois animaux. De même trois lauriers peuvent s’appeler trois lauriers ou trois arbres ; mais le laurier, le myrte et l’olivier ne peuvent s’appeler que trois arbres, ou trois substances, ou trois natures. Ainsi trois pierres peuvent s’appeler trois pierres ou trois corps ; mais la pierre, le bois et le fer ne peuvent se désigner que sous le nom de trois corps ou sous quelque autre expression plus générale encore.

Si donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois, cherchons ce que sont ces trois et ce qu’ils ont de commun. Ce qu’ils ont de commun n’est pas le titre de Père, tellement qu’ils soient pères les uns des autres, comme des amis par exemple dont on peut dire que ce sont trois amis, parce qu’ils le sont relativement et réciproquement. Ici cela n’a point lieu, puisque le Père seul y est Père ; et Père, non de deux fils, mais d’un Fils unique. Il n’y a pas non plus trois fils, puisque le Père n’y est point fils, non plus que le Saint-Esprit. Il n’y a pas davantage trois Esprits-Saints, puisque l’Esprit-Saint étant appelé proprement don de Dieu, n’est ni le Père ni le Fils. Qu’est-ce donc que ces trois ? Si ce sont trois personnes, c’est que la qualité de personne leur est commune ; ce sera donc, d’après le langage usité, leur nom spécial ou général. Mais là où il n’y a pas de différence de nature, les êtres renfermés sous une dénomination générale peuvent aussi recevoir une dénomination spéciale. En effet, la différence de nature fait que le laurier, le myrte et l’olivier, ou le cheval, le bœuf et le chien ne peuvent être appelés d’un nom spécial ; ceux-là, trois lauriers ; ceux-ci, trois bœufs ; mais seulement d’un nom général : trois arbres, trois animaux. Or, ici où il n’y a pas de différence d’essence, il faut que les trois aient un nom spécial et nous n’en trouvons pas : car le mot personne est général, à tel point qu’il peut s’appliquer même à l’homme, malgré la distance infinie qui sépare l’homme de Dieu.

8. De plus, à nous en tenir à une expression générale, si nous donnons le nom de personnes aux trois parce que la qualité de personne leur est commune — autrement on ne pourrait les appeler ainsi, pas plus qu’on ne peut les appeler trois fils, parce que la qualité de fils ne leur est pas commune, — pourquoi ne les appellerons-nous pas aussi trois dieux ? Evidemment, puisque le Père est personne, le Fils personne, le Saint-Esprit personne, il y a trois personnes ; par conséquent, puisque le Père est Dieu, le Fils Dieu, le Saint-Esprit Dieu, pourquoi n’y a-t-il pas trois dieux ? Ou bien si, par leur ineffable union, les trois ne font qu’un Dieu, pourquoi ne font-ils pas aussi une seule personne, en sorte que nous ne puissions pas plus dire trois personnes — bien que nous donnions à chacun en particulier le nom de personne — que nous ne pouvons dire trois Dieux, quoique nous donnions en particulier le nom de Dieu au Père, au Fils et au Saint-Esprit ? Est-ce parce que l’Ecriture ne parle pas de trois dieux ? Mais nulle part, que nous sachions, cette même Ecriture ne parle de trois personnes. Serait-ce parce que, si l’Ecriture ne parle ni d’une ni de trois personnes —nous y voyons, en effet, la personne du Seigneur, nulle part le Seigneur nommé personne — on a dû, pour le langage et la discussion, parler de trois personnes, ce que l’Ecriture ne dit pas, mais ne contredit pas, tandis que si nous parlions de trois dieux elle s’élèverait contre nous, en disant : « Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est un Dieu un ( Deut., VI, 4 ) ? » Pourquoi alors ne serait-il pas permis de parler de trois essences, ce que l’Ecriture ne dit pas non plus, mais ne contredit pas davantage ? Car si essence est le nom spécial commun aux trois, pourquoi ne dit-on pas trois essences, comme on dit d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que ce sont trois hommes, parce que homme est le nom spécial commun à tous les hommes ? Que si le mot essence n’est pas un nom spécial, mais général, vu que l’homme, l’animal, l’arbre, l’astre, l’ange sont appelés essence ; pourquoi ne dit-on pas ici trois essences comme on dit que trois chevaux sont trois animaux, trois lauriers, trois arbres, et trois pierres trois corps ? Ou si, à cause de l’unité de la Trinité, on ne dit pas trois essences, mais une essence, pourquoi, à raison de cette même unité, ne dit-on pas une substance ou une personne, au lieu de trois substances ou de trois personnes ? Car si le nom d’essence