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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/457

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leur est commun, tellement que chacun en particulier puisse être appelé essence, celui de substance ou personne leur est également commun. En effet, il faut comprendre que ce que nous avons dit des personnes d’après le génie de notre langue, les Grecs l’entendent des substances, d’après le génie de la leur. Ils disent donc trois substances et une essence, comme nous disons trois personnes et une essence ou une substance.

9. Que nous reste-t-il donc, sinon à avouer que ces expressions nous ont été imposées par la nécessité de parler, de soutenir de nombreuses discussions contre les piéges ou les erreurs des hérétiques ? En effet, l’indigence humaine s’efforçant de mettre, par le langage, à la portée des hommes, ce que l’esprit perçoit, au fond de la pensée, du Seigneur Dieu son Créateur, a craint, soit par un pieux sentiment de foi, soit par une vue quelconque de l’intelligence, a craint de dire trois essences, de peur de laisser croire à quelque différence dans cette parfaite égalité. D’autre part, elle ne pouvait se dispenser de reconnaître trois choses, car c’est pour s’y être refusé que Sabellius est tombé dans l’hérésie. En effet, l’Ecriture établit de la manière la plus certaine, et l’esprit perçoit par une vue indubitable, cette pieuse croyance que le Père, le Fils et le Saint-Esprit existent ; que le Fils n’est point le même que le Père, ni le Saint-Esprit le même que le Père ou le Fils. Mais que sont ces trois ? L’indigence humaine a cherché à l’exprimer, et elle s’est servie de ces mots hypostases ou personnes, entendant par là, non une diversité, mais une distinction, de manière à laisser subsister, non-seulement l’unité, puisqu’on ne parle que d’une seule essence, mais aussi la Trinité, puisqu’on distingue trois hypostases ou personnes. En effet, si être et subsister sont la même chose en Dieu, on ne pouvait dire trois substances, puisqu’on ne peut dire trois essences ; de même que, être et être sage étant la même chose en Dieu, on ne peut pas plus dire trois sagesses que trois essences. Et encore, puisque pour lui être et être Dieu sont une seule chose, il n’est pas plus permis de dire trois essences que trois dieux. Mais si être et subsister ne sont point pour Dieu la même chose, pas plus que être Dieu et être Père ou Seigneur — car être est un terme absolu,-tandis que Père est un terme relatif au Fils, et Seigneur un terme relatif au serviteur, — le mot subsister serait donc aussi relatif, comme l’acte d’engendrer ou de dominer. Alors la substance ne serait plus proprement substance, mais un rapport. Car comme le mot essence dérive de être (esse), ainsi le mot substance dé-rive de subsister. Or, il est absurde de donner au mot substance un sens relatif : car tout être subsiste en lui-même ; à combien plus forte raison Dieu ?


CHAPITRE V. EN DIEU, SUBSTANCE EST UN TERME ABUSIF, ESSENCE EST LE MOT PROPRE.



10. Si tant est cependant que le mot subsister soit digne de Dieu, on comprend ce mot quand il s’applique à des choses qui servent de sujets à d’autres, comme par exemple à la couleur ou à la forme, s’il s’agit d’un corps. Car le corps subsiste, et c’est pour cela qu’on l’appelle substance ; mais la couleur et la forme appliquées à ce corps qui subsiste ne sont pas substances, mais seulement dans une substance ; de telle sorte que, si elles cessent d’être, elles n’empêchent pas le corps d’être corps, parce que, pour lui, être et avoir telle couleur et telle forme ne sont pas la même chose. Le mot substance s’applique donc proprement aux choses changeantes et qui ne sont pas simples. Mais si Dieu subsiste en ce sens qu’on puisse justement l’appeler substance, il y a donc en lui quelque chose dont il n’est que le sujet ; il n’est donc pas simple ; ce n’est donc pas pour lui la même chose d’être et d’être tout ce qu’on peut dire de lui, grand, par exemple, tout-puissant, bon, et le reste. Or, c’est une impiété de dire que Dieu subsiste, c’est-à-dire qu’il est simple sujet de sa bonté, que cette bonté n’est pas sa substance même ou plutôt son essence ; qu’il n’est pas sa bonté même, mais que cette bonté est en lui comme en un sujet. Il est donc évident que le mot de substance est abusif pour désigner en Dieu ce qu’exprime le mot essence, qui est plus usité et proprement et justement employé, à tel point que Dieu seul doit être appelé essence. En effet, il existe vraiment seul, parce que seul il est immuable, et c’est en ce sens qu’il a révélé son nom à son serviteur Moïse, quand il lui a dit : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu leur diras : Celui qui est m’a envoyé vers