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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/458

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vous (Ex., III, 14 ) ». Cependant, soit qu’on l’appelle essence — ce qui est le mot propre, — soit qu’on le nomine substance — ce qui est le terme abusif ; — en tout cas on parle dans le sens absolu, et non dans le sens relatif. Alors être et subsister seront la même chose en Dieu, et si la Trinité n’est qu’une essence, elle ne sera non plus qu’une substance. Il est donc peut-être plus juste de dire trois personnes que trois substances.


CHAPITRE VI. POURQUOI DANS LA TRINITÉ NE DIT-ON PAS UNE PERSONNE ET TROIS ESSENCES. L’HOMME EST FAIT A L’IMAGE ET EST L’IMAGE DE DIEU.



11. Mais pour ne pas paraître partial, étudions encore ce point. Du reste, les Grecs pourraient, s’ils le voulaient, dire trois personnes, tría prósopa, comme ils disent trois substances, treis upostaseis. Mais ils ont peut-être cru cette dernière expression plus conforme au génie de leur langue. Car le raisonnement est le même pour les personnes : en Dieu être ou être personne est absolument la même chose. En effet, si le mot être est absolu et le mot personne relatif, il faudra donc dire des trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, ce que nous disons de trois amis, de trois proches ou de trois voisins : qu’aucun d’eux ne l’est par rapport à lui-même, mais seulement par rapport aux autres. Ainsi, chacun d’eux est l’ami, le parent ou le voisin des deux autres, puisque ces expressions ont une signification relative. Quoi donc ? dirons-nous que le Père est la personne du Fils et du Saint-Esprit, ou que le Fils est la personne du Père et du Saint-Esprit, ou que le Saint-Esprit est la personne du Père et du Fils ? Mais nulle part le mot de personne ne s’emploie en ce sens ; et quand, dans la Trinité, nous parlons de la personne du Père, nous n’entendons pas autre chose que la substance même du Père. C’est pourquoi, comme la substance du Père est le Père même, non en tant qu’il est Père, mais en tant qu’il est, ainsi la personne du Père n’est pas autre chose que le Père lui-même : car c’est en lui-même qu’il est dit personne, et non par rapport au Fils ou au Saint-Esprit, tout comme c’est en lui-même qu’il est dit Dieu, grand, bon, juste, etc. Et comme être et être Dieu, grand, bon, sont pour lui la même chose, ainsi être et être personne sont aussi pour lui la même chose. Pourquoi donc n’appelons-nous pas ces trois choses une seule personne, comme nous les appelons une seule essence et un seul Dieu, mais pourquoi disons-nous trois personnes, quand nous ne disons pas trois dieux ou trois essences, sinon parce que nous voulons avoir au moins un mot pour exprimer la Trinité, et ne pas rester muets quand on nous demande ce que c’est que ces trois, puisque nous confessons qu’ils sont trois ? Que si essence est le mot du genre, et substance ou personne le nom de l’espèce, comme le pensent quelques-uns, je ne répéterai point ce que j’ai dit plus haut, qu’il faudra parler de trois essences comme on parle de trois substances ou de trois personnes, comme on parle de trois chevaux, qui sont trois animaux de la même espèce : cheval étant l’espèce, et animal, le genre. Car, là non plus, l’espèce n’est pas prise au pluriel et le genre au singulier, comme si on disait : trois chevaux sont un seul animal ; mais comme on dit trois chevaux du nom de l’espèce, on dit trois animaux du nom du genre. Et si l’on dit que le mot substance ou personne ne désigne pas l’espèce, mais quelque chose de particulier et d’individuel, en sorte qu’il ne se prendrait pas dans le sens du mot homme, qui est commun à tous les hommes, mais dans le sens de tel ou tel homme, Abraham, Isaac, Jacob, ou tel individu qu’on peut indiquer du doigt ; dans ce sens, dis-je, on n’échapperait point encore au même raisonnement. En effet, dire qu’Abraham, Isaac et Jacob sont trois individus, c’est dire aussi que ce sont trois hommes et trois âmes. Pourquoi alors, si nous nous en tenons à une notion sur le genre, l’espèce et l’individu, ne pas dire trois essences, aussi bien que trois substances ou trois personnes ? Mais, comme je l’ai dit, je passe là-dessus, et me borne à dire que si essence est le genre, une seule essence n’a pas plusieurs espèces, par exemple, si animal est le genre, un seul animal n’a pas plusieurs espèces. Donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois espèces d’une seule essence. Mais si l’essence est espèce, comme l’homme est espèce ; ainsi les trois choses que nous appelons substances ou personnes ont la même espèce, de même qu’Abraham, Isaac et Jacob ont en commun l’espèce qui s’appelle homme.