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Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/71

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LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

France libre. Camille Desmoulins lui en adressa de spirituels remerciements.

Ce premier succès l’encouragea à faire paraître un nouveau pamphlet, le Discours de la lanterne aux Parisiens, qui parut sans nom d’auteur avant la fin de l’année 1789. Le titre est singulier et a été jugé odieux : il a été inspiré à l’auteur par son esprit de gavroche parisien et par le désir de piquer la curiosité publique. Quelques passages sont d’une violence de polémique regrettable, et d’autres révèlent une nature quelque peu rabelaisienne : mais le fond est modéré, au point qu’il a mérité l’approbation d’hommes tels que Sieyès, Target. Mirabeau. « Oubliez le titre, dit Despois[1], et dites si vous avez jamais lu pamphlet plus vif. plus coloré, plus entraînant. »

C’est le panégyrique de la fameuse nuit du 4 août, qui détruisit tous les privilèges. La joie de l’auteur s’exalte jusqu’au délire dans une série de strophes lyriques : « Haec nox est, s’écrie-t-il,… C’est cette nuit qui a aboli la dîme et le casuel… C’est cette nuit qui a supprimé les justices seigneuriales et les duchés-pairies, qui a aboli la main-morte, la corvée, le champart, et effacé, de la terre des Francs tous les vestiges de la servitude. C’est cette nuit qui a réintégré les Français dans les droits de l’homme… C’est cette nuit qui a supprimé les maîtrises et les privilèges exclusifs. Ira commercer aux Indes qui voudra. Aura une boutique qui pourra. Le maître tailleur, le maître cordonnier, le maître perruquier pleureront : mais les garçons se réjouiront, et il y aura illumination dans les lucarnes… Ô nuit désastreuse pour la grand’chambre, les greffiers, les huissiers, les procureurs. Les secrétaires, sous-secrétaires, tes beautés solliciteuses, portiers, valets de chambre, avocats, gens du roi, pour tous les gens de rapine… »

Puis, cette strophe qui semble avoir été écrite sous la dictée de Rabelais : « Mais ô nuit charmante, ô vere beata nax, pour mille jeunes recluses, Bernardines, Bénédictines, Visitandines, quand elles vont êtres visitées par Les pères Bernardins, Bénédictins, Carmes et Cordeliers… »

Ces traits de légèreté graveleuse ne sont pas particuliers à Camille Desmoulins ; ils tiennent au goût dominant dans la seconde moitié du xviiie siècle. On les rencontre chez les écrivains de tous les partis,

  1. Liberté de penser, t. IV, p. 497. — Gérusez. Littérature française pendant la Révolution, p. 49 et suivantes.