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Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/31

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forme du xixe siècle apparaît comme l’ancêtre d’une forme de l’Égypte ancienne ; ces groupements de versions qui associent en une seule famille, sans que jamais on sache pourquoi, ici un conte breton et un récit kalmouk, là un narrateur arabe et un novelliste italien.

La question de l’origine et de la propagation des contes paraît donc une question mal posée. Elle est soluble, elle est résolue déjà, souvent, quand il s’agit des contes ethniques. Pour les autres, qui forment l’immense majorité, il est impossible de savoir où, quand chacun d’eux est né, puisque, par définition, il peut être né en un lieu, en un temps quelconques ; il est impossible de savoir davantage comment chacun d’eux s’est propagé, puisque, n’ayant à vaincre aucune résistance pour passer d’une civilisation à une autre, il vagabonde par le monde, sans connaître plus de règles fixes qu’une graine emportée par le vent.

Donc ce travail tend à une sorte de déplacement de la question.

L’histoire ne nous permet pas de supposer qu’il ait existé un peuple privilégié, ayant reçu la mission d’inventer les contes dont devait à perpétuité s’amuser l’humanité future. Elle nous montre, au contraire, que chacun a créé ses contes, qui lui appartiennent : les Bretons, les Germains, les Slaves, les Indiens. Puisque chaque peuple a le pouvoir de créer des contes ethniques, il est naturel de supposer qu’il a pu aussi inventer des contes plus généraux, qui, étant très plaisants et très inoffensifs en leurs données, voyagent indifféremment de pays en pays.

Il faut donc conclure à la polygénésie des contes. Il faut renoncer à ces stériles comparaisons de versions, qui prétendent découvrir des lois de propagation, à jamais indécouvrables : car elles n’existent pas. Il faut abandonner