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Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/32

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ces vains classements qui se fondent sur la similitude en des pays divers de certains traits forcément insignifiants (par le fait même qu’ils réapparaissent en des pays divers) — et qui négligent les éléments locaux, différentiels, non voyageurs, de ces récits, — les seuls intéressants.

Ces mêmes contes non ethniques, indifférents si on les considère en leurs données organiques, patrimoine banal de tous les peuples, revêtent dans chaque civilisation, presque dans chaque village, une forme diverse. Sous ce costume local, ils sont les citoyens de tel ou tel pays : ils deviennent, à leur tour, des contes ethniques.

Sous cette forme, les contes de fées n’impliquent pas seulement ce merveilleux banal, qui, seul, vagabonde du Japon à la Basse-Bretagne ; mais ils retiennent, en des parties non transmissibles de peuple à peuple, le souvenir de mœurs locales parfois très anciennes, de conceptions surnaturelles abolies, et par là fournissent des matériaux précieux aux anthropologistes, aux mythologues : le champ reste ouvert à l’ingénieuse Mélusine.

Pareillement, les mêmes contes à rire indifférents sous leur forme organique, immuable, commune à Rutebeuf, aux Mille et une Nuits, à Chaucer, à Boccace, deviennent des témoins précieux, chez Rutebeuf, des mœurs du xiiie siècle français ; dans les Mille et une Nuits, de l’imagination arabe ; chez Chaucer, du xive siècle anglais ; chez Boccace, de la première renaissance italienne. — C’est ce qu’essaye de montrer, par l’exemple des fabliaux, la seconde partie de ce livre.

Qu’il me soit permis de prévoir ici, en quelques mots, deux critiques.

D’abord, on peut dire que, si l’on supprimait de ce tra-