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Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/228

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En ces conditions, Villoison fut la dupe du préjugé qu’avaient déjà répandu et enraciné les annonces qu’il avait faites lui-même de sa découverte. Sur la foi des quelques anciens, de Lucien et de Galien en particulier[1], on commençait d’admettre que les audaces des grammairiens avaient mutilé ou corrompu le texte homérique autant, sinon plus, que les négligences et fantaisies des rhapsodes ; la boutade d’Aratus passait pour un oracle de la sagesse : « Quel est le meilleur texte d’Homère ?… celui auquel un correcteur n’a jamais touché ». Les xvie, xviie et xviiie siècles avaient vécu sur la Vulgate homérique, croyant qu’elle leur venait de la plus haute antiquité, avec les seules fautes de détail inhérentes à une si longue tradition ; mais Villoison avait annoncé en 1779 qu’il avait découvert à Venise un Homère tout différent de la Vulgate ou, plutôt, cinq, dix, vingt Homères d’époques différentes ; grâce aux lectures, variantes, corrections, suppressions et additions, indiquées par les scholies du Venetus, on allait pouvoir, avait-il dit, reconstituer les différents textes homériques qui avaient existé avant la critique alexandrine et dont elle avait usé pour la constitution de la Vulgate : « Cet admirable Codex Venetus, répétait Villoison en ses Prolégomènes, peut être appelé l’Homerus Variorum totius antiquitatis Criticorum[2] » ; c’est mot pour mot ce qu’avaient annoncé dès 1779 ses lettres aux érudits de l’Europe entière ; en 1781, telles pages de ses Anecdota graeca avaient confirmé cette annonce.

  1. Voir là-dessus les Prolégomènes de Villoison, p. xxxiv-xliv : nec sola rhapsodorum licentia vel librariorum et editorum incuria, sed etiam emendantium, seu potius corrumpentium audacia carmina depravata esse, etc…
  2. Page xliv.