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Page:Baillon - Histoire d'une Marie, 2è édition, 1921.djvu/13

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c’est lui qu’on voyait tout d’abord ; on avait envie de se mettre en dessous pour ne pas laisser se perdre ce beau fruit rouge.

Elle n’avait goûté jusqu’à présent d’autres joies que l’amour dont elle portait déjà la peine. Elle ne disait pas la honte. La honte dérive de la morale et celle-ci est une richesse qu’on ne possède pas sans l’avoir reçue. On ne la lui avait pas donnée.

Ancien instituteur, son père en détenait, sans doute, le trésor ; on peut le supposer. Mais il le gardait pour lui seul avaricieusement ou, tout au plus, l’émiettait en proverbes adaptés à son usage :

— Les parents d’abord, les enfants ensuite, affirmait-il à table en se servant le premier, largement et du meilleur.

— Chacun son métier, prêchait-il de son fauteuil, en regardant les autres besogner.

Son métier, à lui, se résumait à ceci : avoir été instituteur. Cela coûtait cher, car ce métier entraîne à boire.

D’une sévérité pédante, il se vengeait sur Marie de n’avoir plus d’autres victimes à fustiger. Sa gifle restait pédagogique et, si l’on peut dire, concentrée. La douzaine que chaque jour en mûrissait au bout de ses doigts de cuistre, il eût pu les répartir entre les dix joues que lui offrait sa descendance ; il les réservait à Marie, ainsi que le voulait sans doute le droit d’aînesse.

Encore que brutales, de pareilles leçons sont insuffisantes. Mieux qu’avec des gifles, il sied de planter, entre le Bien et le Mal, des barrières diversement coloriées. Ou d’ériger des poteaux : Ici l’on passe — Ici l’on ne passe pas. Sans quoi,