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Page:Baillon - Histoire d'une Marie, 2è édition, 1921.djvu/33

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Beaucoup plus tard, on lui toucha l’épaule. Elle répondit : « Non », sans savoir. Puis elle reconnut Monsieur, Monsieur avec sa belle barbe et ses bons yeux qui ne voyaient bien les choses que de près. Il n’eut pas besoin de la lettre :

— Ce qui vous arrive, arrive tous les jours.

Il prit une chaise, parce qu’on est mieux pour parler. Il parla longuement. Que disait-il ? Des mots qu’elle ne saisissait pas toujours ; des mots savants, gonflés d’air, qui rebondissaient loin comme des balles élastiques ; puis d’autres, de pointus, qui pénétraient dans la chair et s’enfonçaient à ne plus en sortir :

— Les hommes : des fourbes… Il ne faut pas les croire… aucun… sinon, ma fille,… on est comme vous… on pleure.

Monsieur disait cela des hommes, et il était un homme ! Elle le regarda avec frayeur.

Quand il eut fini, il tira de sa poche une petite pièce, en or, vingt francs, et la mit dans sa main. Elle répondit :

— Mais non, Monsieur, je vous dois déjà cinq francs.

Après elle accepta :

— Pour l’enfant, qui n’aura pas de père.

— Bast, pour ce qu’un père lui servirait.

Et c’est vrai : du sien, Marie n’avait eu que des tristesses : plus de coups que de pain, comme on disait là-bas.

Il demanda encore :

— Allons ! Vous serez sage ?

— J’essaierai, Monsieur.