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Page:Baillon - Histoire d'une Marie, 2è édition, 1921.djvu/32

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Jésus-Dieu ! Elle devint tellement pâle qu’on ne peut même pas dire qu’elle fût blanche ; elle n’avait plus de couleur. Elle mit les deux mains sur son ventre : la cuisine tournait, ses marmites lançaient des éclairs, ses yeux étaient remplis d’eau.

Elle les essuya pour relire et, ploc ! une larme tomba juste sur le nom d’Hector. Elle connaissait aussi cette Louise, une rousse, laide, avec des taches de son à travers la figure.

Elle compta sur ses doigts : hier pour la lettre, c’était samedi et samedi le jour où elle nettoyait son trottoir. Et ils s’étaient mariés, sans doute, à neuf heures, au moment où elle, en sabots… Elle se souvint : il faisait du soleil ce jour-là : ils avaient pu découvrir les trois voitures, revenir de l’hôtel de ville au grand trot, se faire admirer par les voisins : Hector avec ses moustaches, Louise en robe blanche, près de lui, à la place qu’elle avait volée.

Elle ne lui en voulait pas et pourtant cette Louise, si elle avait été morte ! Comment Hector avait-il choisi celle-là ? Elle ne le comprenait pas ; elle ne comprenait plus rien, sinon que la chose était définitive, nouée par la loi et qu’elle se trouvait seule, seule, avec le petit qu’il n’aurait pas dû lui faire.

Elle alla s’accouder à la table près du coin d’où elle lui avait écrit si souvent. Une tache d’encre était restée : elle la frotta du doigt, puis avec l’ongle ; elle s’obstinait là-dessus, avec ses yeux fixes qui ne cessaient de pleurer.

À la fin, sa tête devint si lourde qu’elle ne put plus la soutenir : elle la laissa aller et mit ses deux mains sur le crâne, là où ses pensées lui faisaient mal.