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Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/17

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un mot, ajouter à la mienne ce rien de la pensée d’autrui. J’ai lu Pascal ; j’ai lu Montaigne. J’ai trouvé, chez les deux, une même idée : la planche au-dessus du gouffre, ou la poutre entre les deux tours de Notre-Dame d’une grosseur telle qu’il nous la faudrait pour marcher dessus si elle était à terre et dont l’idée donne déjà le vertige. Les tours de Notre-Dame, c’est bien haut ? J’ai connu de ces planches niaisement — oui, je dis : niaisement — couchées par terre, dans l’au jour le jour de la vie et j’ai passé dessus, en plein vertige ! Est-ce être fou ?

Autre chose. Fou à demi, j’aimerais mieux être fou en entier. Toujours la belle bleue ratée ! J’ai besoin que les choses soient totales, qu’elles durent, qu’elles soient avec plénitude, certitude, ce qu’elles sont. Si j’aimais, je voudrais aimer pleinement. Aimer avec mes doigts, avec mes yeux, avec ma bouche, avec mon âme, avec tout ce que renferment mon esprit et mon corps. Toujours, jamais : voilà des mots que je comprends ! Ce qui passe, ce qui ne dure pas, ce qui est incertain, ce qui arrivera peut-être, ce qui arrivera plus tard : je suis en plein vertige sur ma poutre. Ce qu’un de mes amis appelait : « Tes petits scrupules d’absolu ». Et ces scrupules, si je les accroche à Dieu ? Dieu ou Pas-Dieu, le