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Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/123

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Paul[1] et relégué dans le ravelin d’Alexis,[2] où je suis resté trois ans. Deux mois après ma relégation dans cette prison, je reçus la visite du comte Orloff qui se présenta au nom de l’empereur et qui me dit : « Sa Majesté m’envoie vers vous avec cet ordre : Dis-lui de m’écrire, comme le ferait le fils spirituel qui aurait à se confesser à son père spirituel. — Voulez-vous écrire ? » Je devins songeur pendant quelques instants ; je réfléchis que dans un tribunal public, devant un « jury », j’aurais le devoir de rester dans mon rôle jusqu’au bout ; mais, qu’enfermé, comme je l’étais entre quatre murs, me trouvant au pouvoir d’un ours, il me serait permis d’adoucir la forme, sans me faire un scrupule de cela. Je demandai donc un mois de temps, — j’acceptai. Et, en effet, j’écrivis une sorte de confession, quelque chose dans le genre de Dichtung und Wahrheit. D’ailleurs, tous mes actes furent parfaitement connus ; j’avais agi si ouvertement que je n’avais plus de secret à révéler à ce sujet. Après avoir dans cette lettre remercié Sa Majesté de sa condescendance, j’ajoutai : « Sire, vous désirez avoir ma confession, soit, je vous la ferai ; mais vous ne devez pas ignorer que le pénitent n’est pas obligé de confesser les péchés d’autrui. Après le naufrage que je viens de faire, je n’ai de sauf que l’honneur, mon seul trésor, et la conscience de n’avoir

  1. La fameuse prison, dans cette forteresse, est destinée à recevoir exclusivement des prisonniers politiques (Trad.)
  2. Une section de la prison des Saints-Pierre-et-Paul pour les condamnés politiques dans laquelle le régime est d’une rigueur excessive. Cette section se compose d’un rez-de-chaussée et d’un souterrain, dont le mur extérieur descend dans la Neva. En 1824, lorsqu’il y eut inondation à Pétersbourg, les cellules du souterrain furent aussi inondées. (Trad.)