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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/342

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passe à sa fille, justement pour célébrer le bonheur que nous avons eu de la conserver. Vous sentez qu’ici le sauveur est partie intégrante et nécessaire ; je crois devoir vous promettre un assez beau tapage pour que vous puissiez chambrer votre homme en pleine liberté, et certes, dans une réunion de ce genre, la préméditation ne sera pas soupçonnée.

— C’est en effet assez bien imaginé, sauf la vraisemblance.

— Comment ! la vraisemblance ?

— Sans doute, vous oubliez que je suis marié depuis une année à peine, et que je n’ai pas de contingent à amener pour expliquer ce soir-là ma présence chez vous.

— C’est vrai ; je n’y pensais pas.

— Voyons pourtant, dit le ministre, parmi vos invités, avez-vous les petites la Roche-Rugon ?

— Cela ne fait pas un doute ; les filles d’un des hommes que j’estimerais le plus, quand même il n’aurait pas l’honneur de vous tenir de si près.

— Eh bien ! cela va tout seul : ma femme vient avec sa belle-sœur, madame de la Roche-Hugon, pour voir danser ses nièces ; rien de plus acceptable en pareille rencontre, que l’incongruité de vous arriver sans être invité ; et puis moi, sans en avoir avisé ma femme, je lui fais la galanterie de venir la chercher.

— À ravir ! dit monsieur de l’Estorade, et nous, qui à cette comédie gagnons la charmante réalité de vos deux présences !

— Trop aimable ! dit Rastignac en serrant affectueusement la main du pair de France ; Seulement, je crois qu’il ne faut rien dire à madame de l’Estorade ; notre puritain, s’il était d’avance avisé serait homme à ne pas venir ; il faut bien mieux que j’arrive sur lui à l’improviste, comme un tigre sur sa proie.

— C’est entendu. Surprise complète pour tout le monde.

— Alors je me sauve, dit Rastignac, de peur que quelque mot ne vînt à nous échapper avec madame de l’Esto-