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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/341

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si grande obligation. Mais ma femme en particulier, depuis le jour où il est parti pour se faire nommer, paraît assez gênée de notre reconnaissance. Sans s’occuper de politique, elle aime les gens qui sont dans nos eaux, et elle doit entrevoir que les relations avec un homme qui va tous les jours tirer sur les nôtres seront difficiles et d’un médiocre agrément. Elle me disait même l’autre jour que c’était une connaissance à laisser éteindre…

— Pas toutefois, j’espère, interrompit Rastignac, avant un service que je veux réclamer de vous.

— Tout à vos ordres, mon cher ministre, et en toute chose.

— Pour mettre sans façon les pieds dans le plat, avant de le voir à la Chambre, je voudrais jauger notre homme, et pour cela me rencontrer avec lui. Envoyer à son adresse une invitation à dîner serait bien inutile ; sous l’œil de son parti, il n’oserait pas accepter, en eût-il l’envie ; et d’ailleurs il serait sur ses gardes, et je ne l’aurais pas au naturel. Au lieu que, me trouvant par hasard sur son chemin, je le verrais en déshabillé, et pourrais un peu mieux tâter s’il a quelque côté vulnérable.

— Vous faire dîner avec lui chez moi aurait le même inconvénient ; si un de ces soirs où je m’arrangerais pour savoir qu’il doit venir, je vous le faisais dire dans la journée ?

— Nous serions en petit comité, fit remarquer Rastignac ; s’isoler dans une conversation particulière devient alors difficile, on est trop ramassé, pour qu’à l’aparté que l’on se ménage n’apparaisse pas la circonstance aggravante de la préméditation.

— Attendez-donc ! s’écria monsieur de l’Estorade, une lumineuse idée qui me vient !

— Si l’idée est vraiment lumineuse, pensa le ministre, j’aurai du bénéfice à ne pas avoir rencontré la femme, qui jamais n’eût mis cet empressement à entrer dans mon désir.

— Ces jours-ci, continua le président de la cour des comptes, nous avons une petite soirée, un bal d’enfants ; c’est une fantaisie que, de guerre lasse, madame de l’Estorade