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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/111

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ser, et oublie quelquefois dans le monde qu’il ne faut pas tout dire ; il lui est impossible d’avoir la retenue des gens qui y vivent continuellement ; mais comme ses écarts sont presque toujours marqués d’un cachet d’originalité, personne ne s’en plaint. Cette saveur si rare dans les talents, cette jeunesse pleine de simplesse qui rendent d’Arthez si noblement original, firent de cette soirée une délicieuse chose. Il sortit avec le baron de Rastignac qui, en le reconduisant chez lui, parla naturellement de la princesse, en lui demandant comment il la trouvait.

— Michel avait raison de l’aimer, répondit d’Arthez, c’est une femme extraordinaire.

— Bien extraordinaire, répliqua railleusement Rastignac. À votre accent, je vois que vous l’aimez déjà ; vous serez chez elle avant trois jours, et je suis un trop vieil habitué de Paris pour ne pas savoir ce qui va se passer entre vous. Eh ! bien, mon cher Daniel, je vous supplie de ne pas vous laisser aller à la moindre confusion d’intérêts. Aimez la princesse si vous vous sentez de l’amour pour elle au cœur ; mais songez à votre fortune. Elle n’a jamais pris ni demandé deux liards à qui que ce soit, elle est bien trop d’Uxelles et Cadignan pour cela, mais, à ma connaissance, outre sa fortune à elle, laquelle était très-considérable, elle a fait dissiper plusieurs millions. Comment ? pourquoi ? par quels moyens ? personne ne le sait, elle ne le sait pas elle-même. Je lui ai vu avaler, il y a treize ans, la fortune d’un charmant garçon et celle d’un vieux notaire en vingt mois.

— Il y a treize ans ! dit d’Arthez, quel âge a-t-elle donc ?

— Vous n’avez donc pas vu, répondit en riant Rastignac, à table son fils, le duc de Maufrigneuse ? un jeune homme de dix-neuf ans. Or, dix-neuf et dix-sept font…

— Trente-six, s’écria l’auteur surpris, je lui donnais vingt ans.

— Elle les acceptera, dit Rastignac mais soyez sans inquiétude là-dessus : elle n’aura jamais que vingt ans pour vous. Vous allez entrer dans le monde le plus fantastique. Bonsoir, vous voilà chez vous, dit le baron en voyant sa voiture entrer rue de Bellefond où demeure d’Arthez dans une jolie maison à lui, nous nous verrons dans la semaine chez mademoiselle des Touches.

D’Arthez laissa l’amour pénétrer dans son cœur à la manière de notre oncle Tobie, sans faire la moindre résistance, il procéda par l’adoration sans critique, par l’admiration exclusive. La princesse,