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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/112

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cette belle créature, une des plus remarquables créations de ce monstrueux Paris où tout est possible en bien comme en mal, devint, quelque vulgaire que le malheur des temps ait rendu ce mot, l’ange rêvé. Pour bien comprendre la subite transformation de cet illustre auteur il faudrait savoir tout ce que la solitude et le travail constant laissent d’innocence au cœur, tout ce que l’amour réduit au besoin et devenu pénible auprès d’une femme ignoble, développe de désirs et de fantaisies, excite de regrets et fait naître de sentiments divins dans les plus hautes régions de l’âme. D’Arthez était bien l’enfant, le collégien que le tact de la princesse avait soudain reconnu. Une illumination presque semblable s’était accomplie chez la belle Diane. Elle avait donc enfin rencontré cet homme supérieur que toutes les femmes désirent, ne fût-ce que pour le jouer ; cette puissance à laquelle elles consentent à obéir, ne fût-ce que pour avoir le plaisir de la maîtriser ; elle trouvait enfin les grandeurs de l’intelligence unies à la naïveté du cœur, au neuf de la passion ; puis elle voyait par un bonheur inouï, toutes ces richesses contenues dans une forme qui lui plaisait. D’Arthez lui semblait beau, peut-être l’était-il. Quoiqu’il arrivât à l’âge grave de l’homme à trente-huit ans, il conservait une fleur de jeunesse due à la vie sobre et chaste qu’il avait menée, et comme tous les gens de cabinet, comme les hommes d’État, il atteignait à un embonpoint raisonnable. Très-jeune, il avait offert une vague ressemblance avec Bonaparte général. Cette ressemblance se continuait encore, autant qu’un homme aux yeux noirs, à la chevelure épaisse et brune, peut ressembler à ce souverain aux yeux bleus, aux cheveux châtains ; mais tout ce qu’il y eut jadis d’ambition ardente et noble dans les yeux de d’Arthez avait été comme attendri par le succès. Les pensées dont son front était gros avaient fleuri, les lignes creuses de sa figure étaient devenues pleines. Le bien-être répandait des teintes dorées là où dans sa jeunesse la misère avait mélangé les tons jaunes des tempéraments dont les forces se bandent pour soutenir des luttes écrasantes et continues. Si vous observez avec soin les belles figures des philosophes antiques, vous y apercevrez toujours les déviations du type parfait de la figure humaine auxquelles chaque physionomiste doit son originalité, rectifiées par l’habitude de la médiation, par le calme constant nécessaire aux travaux intellectuels. Les visages les plus tourmentés, comme celui de Socrate, deviennent à la longue d’une sérénité