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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/39

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mis qui venaient tous les soirs entre onze heures et minuit, rue Joubert, et où on pouvait toujours jouer à la bouillotte sans crainte : j’y ai toujours gagné. Quand Isaure avait avancé son joli petit pied chaussé d’un soulier de satin noir et que Godefroid l’avait longtemps regardé, il restait le dernier et disait à Isaure : — Donne-moi ton soulier… Isaure levait le pied, le posait sur une chaise, ôtait son soulier, le lui donnait en lui jetant un regard, un de ces regards ? enfin, vous comprenez ! Godefroid finit par découvrir un grand mystère chez Malvina. Quand du Tillet frappait à la porte, la rougeur vive qui colorait les joues de Malvina, disait : Ferdinand ! En regardant ce tigre à deux pattes, les yeux de la pauvre fille s’allumaient comme un brasier sur lequel afflue un courant d’air ; elle trahissait un plaisir infini quand Ferdinand l’emmenait pour faire un a parte près d’une console ou d’une croisée. Comme c’est rare et beau, une femme assez amoureuse pour devenir naïve et laisser lire dans son cœur ! Mon Dieu, c’est aussi rare à Paris, que la fleur qui chante l’est aux Indes. Malgré cette amitié commencée depuis le jour où les d’Aldrigger apparurent chez les Nucingen, Ferdinand n’épousait pas Malvina. Notre féroce ami du Tillet n’avait pas paru jaloux de la cour assidue que Desroches faisait à Malvina, car pour achever de payer sa Charge avec une dot qui ne paraissait pas être moindre de cinquante mille écus, il avait feint l’amour, lui homme de Palais ! Quoique profondément humiliée de l’insouciance de du Tillet, Malvina l’aimait trop pour lui fermer la porte. Chez cette fille, tout âme, tout sentiment, tout expansion, tantôt la fierté cédait à l’amour, tantôt l’amour offensé laissait la fierté prendre le dessus. Calme et froid, notre ami Ferdinand acceptait cette tendresse, il la respirait avec les tranquilles délices du tigre léchant le sang qui lui teint la gueule ; il en venait chercher les preuves, il ne passait pas deux jours sans se montrer rue Joubert. Le drôle possédait alors environ dix-huit cent mille francs, la question de fortune devait être peu de chose à ses yeux et il avait résisté non-seulement à Malvina, mais aux barons de Nucingen et de Rastignac, qui, tous deux, lui avaient fait faire soixante-quinze lieues par jour, à quatre francs de guides, postillon en avant, et sans fil ! dans les labyrinthes de leur finesse. Godefroid ne put s’empêcher de parler à sa future belle-sœur de la situation ridicule où elle se trouvait entre un banquier et un avoué. — Vous voulez me sermonner au sujet de Ferdinand, savoir le secret