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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/107

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LES RIVALITÉS : LA VIEILLE FILLE.

— Mais, ma fille, je ne me suis point préparée à faire un choix.

— Bah ! si j’étais à votre place, je prendrais monsieur du Bousquier.

— Josette, monsieur de Valois dit qu’il est si républicain !

— Ils ne savent ce qu’ils disent, vos messieurs ; ils prétendent qu’il volait la République, il ne l’aimait donc point, dit Josette en s’en allant.

— Cette fille a étonnamment d’esprit, pensa mademoiselle Cormon qui demeura seule en proie à ses perplexités.

Elle entrevoyait qu’un prompt mariage était le seul moyen d’imposer silence à la ville. Ce dernier échec, si évidemment honteux, était de nature à lui faire prendre un parti extrême, car les personnes dépourvues d’esprit sortent difficilement des sentiers bons ou mauvais dans lesquels elles entrent. Chacun des deux vieux garçons avait compris la situation dans laquelle allait être la vieille fille ; aussi tous deux s’étaient-ils promis de venir dans la matinée savoir de ses nouvelles, et, en style de garçon, pousser sa pointe. Monsieur de Valois jugea que la circonstance exigeait une toilette minutieuse, il prit un bain, il se pansa extraordinairement. Pour la première et dernière fois, Césarine le vit mettant avec une incroyable adresse un soupçon de rouge. Du Bousquier, lui, ce grossier républicain, animé par une volonté drue, ne fit pas la moindre attention à sa toilette, il accourut le premier. Ces petites choses décident de la fortune des hommes, comme de celle des empires. La charge de Kellermann à Marengo, l’arrivée de Blücher à Waterloo, le dédain de Louis XIV pour le prince Eugène, le curé de Denain ; toutes ces grandes causes de fortune ou de catastrophes, l’histoire les enregistre ; mais personne n’en profite pour ne rien négliger dans les petits faits de sa vie. Aussi, voyez ce qui arrive ? La duchesse de Langeais (voir l’Histoire des Treize) se fait religieuse pour n’avoir pas eu dix minutes de patience, le juge Popinot (voir l’Interdiction) remet au lendemain pour aller interroger le marquis d’Espard, Charles Grandet vient par Bordeaux au lieu de revenir par Nantes, et l’on appelle ces événements des hasards, des fatalités. Un soupçon de rouge à mettre tua les espérances du chevalier de Valois, ce gentilhomme ne pouvait périr que de cette manière : il avait vécu par les Grâces, il devait mourir de leur main. Pendant que le chevalier donnait un dernier coup d’œil à sa toilette, le gros du Bousquier entrait au salon de la fille désolée. Cette entrée se combina