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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/244

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Puis, quand se réaliserait ce que tous les faiseurs de mariage appellent des espérances, le juge n’aurait-il pas des enfants à établir ? Chacun concevra donc la situation d’une petite femme pleine de sens et de résolution, comme était madame Camusot ; elle avait trop bien senti l’importance d’un faux pas fait par son mari dans sa carrière, pour ne pas se mêler des affaires judiciaires.

Enfant unique d’un ancien serviteur du roi Louis XVIII, un valet qui l’avait suivi en Italie, en Courlande, en Angleterre, et que le Roi avait récompensé par la seule place qu’il pût remplir, celle d’huissier de son cabinet par quartier, Amélie avait reçu chez elle comme un reflet de la Cour. Thirion lui dépeignait les grands seigneurs, les ministres, les personnages qu’il annonçait, introduisait, et voyait passant et repassant. Élevée comme à la porte des Tuileries, cette jeune femme avait donc pris une teinture des maximes qui s’y pratiquent, et adopté le dogme de l’obéissance absolue au pouvoir. Aussi avait-elle sagement jugé qu’en se rangeant du côté des d’Esgrignon, son mari plairait à madame la duchesse de Maufrigneuse, à deux puissantes familles desquelles son père s’appuierait, en un moment opportun, auprès du Roi. À la première occasion, Camusot pouvait être nommé juge à Paris. Cette promotion rêvée, désirée à tout moment, devait apporter six mille francs d’appointements, les douceurs d’un logement chez son père ou chez les Camusot, et tous les avantages des deux fortunes paternelles. Si l’adage : loin des yeux, loin du cœur, est vrai pour la plupart des femmes, il est vrai surtout en fait de sentiments de famille et de protections ministérielles ou royales. De tout temps les gens qui servent personnellement les rois font très-bien leurs affaires : on s’intéresse à un homme, fût-ce un valet, en le voyant tous les jours.

Madame Camusot, qui se considérait comme de passage, avait pris une petite maison dans la rue du Cygne. La ville n’est pas assez passante pour que l’industrie des appartements garnis s’y exerce. Ce ménage n’était pas d’ailleurs assez riche pour vivre dans un hôtel, comme monsieur Michu. La Parisienne avait donc été obligée d’accepter les meubles du pays. La modicité de ses revenus l’avait obligée à prendre cette maison remarquablement laide, mais qui ne manquait pas d’une certaine naïveté de détails. Appuyée à la maison voisine de manière à présenter sa façade à la cour, elle n’avait à chaque étage qu’une fenêtre sur la rue. La cour, bordée dans sa largeur par deux murailles ornées de rosiers et d’alaternes, avait