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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/245

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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

au fond, en face de la maison, un hangar assis sur deux arcades en briques. Une petite porte bâtarde donnait entrée à cette sombre maison encore assombrie par un grand noyer planté au milieu de la cour. Au rez-de-chaussée, où l’on montait par un perron à double rampe et à balustrades en fer très-ouvragé, mais rongé par la rouille, se trouvait sur la rue une salle à manger, et de l’autre côté la cuisine. Le fond du corridor qui séparait ces deux chambres était occupé par un escalier en bois. Le premier étage ne se composait que de deux pièces, dont l’une servait de cabinet au magistrat, et l’autre de chambre à coucher. Le second étage en mansarde contenait également deux chambres, une pour la cuisinière et l’autre pour la femme de chambre qui gardait avec elle les enfants. Aucune pièce de la maison n’avait de plafond, toutes présentaient ces solives blanchies à la chaux, dont les entre-deux sont plafonnés de blanc-en-bourre. Les deux chambres du premier étage et la salle d’en bas avaient de ces lambris à formes contournées, où s’est exercée la patience des menuisiers du dernier siècle. Ces boiseries, peintes en gris-sale, étaient du plus triste aspect. Le cabinet du juge était celui d’un avocat de province : un grand bureau et un fauteuil d’acajou, la bibliothèque de l’étudiant en Droit, et ses meubles mesquins apportés de Paris. La chambre de madame était indigène : elle avait des ornements bleus et blancs, un tapis, un de ces mobiliers hétéroclites qui semblent à la mode et qui sont tout simplement les meubles dont les formes n’ont pas été adoptées à Paris. Quant à la salle du rez-de-chaussée, elle était ce qu’est une salle en province, nue, froide, à papiers de tenture humides et passés.

C’était dans cette chambre mesquine, sans autre vue que celle de ce noyer, de ces murs à feuillage noir et de la rue presque déserte, que passait toutes ses journées une femme assez vive et légère, habituée aux plaisirs, au mouvement de Paris, seule la plupart du temps, ou recevant des visites ennuyeuses et sottes qui lui faisaient préférer sa solitude à des caquetages vides, où le moindre trait d’esprit auquel elle se laissait aller donnait lieu à d’interminables commentaires et envenimait sa situation. Occupée de ses enfants, moins par goût que pour mettre un intérêt dans sa vie presque solitaire, elle ne pouvait exercer sa pensée que sur les intrigues qui se nouaient autour d’elle, sur les menées des gens de province, sur leurs ambitions enfermées dans des cercles étroits. Aussi pénétrait-