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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/467

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LE LYS DE LA VALLÉE.

tement, mon ange ! Je n’aime pas la morale. Mais pour te plaire, je suis capable des plus grands efforts. Allons, tais-toi, je m’y mettrai ! Je tâcherai de devenir prêcheuse. Auprès de moi, Jérémie ne sera bientôt qu’un bouffon. Je ne me permettrai plus de caresses sans les larder de versets de la Bible.

Elle usa de son pouvoir, elle en abusa dès qu’elle vit dans mon regard cette ardente expression qui s’y peignait aussitôt que commençaient ses sorcelleries. Elle triompha de tout, et je mis complaisamment au-dessus des finasseries catholiques, la grandeur de la femme qui se perd, qui renonce à l’avenir et fait toute sa vertu de l’amour.

— Elle s’aime donc mieux qu’elle ne t’aime ? me dit-elle. Elle te préfère donc quelque chose qui n’est pas toi ? Comment attacher à ce qui est de nous d’autre importance que celle dont vous l’honorez ? Aucune femme, quelque grande moraliste qu’elle soit, ne peut être l’égale d’un homme. Marchez sur nous, tuez-nous, n’embarrassez jamais votre existence de nous. À nous de mourir, à vous de vivre grands et fiers. De vous à nous le poignard, de nous à vous l’amour et le pardon. Le soleil s’inquiète-t-il des moucherons qui sont dans ses rayons et qui vivent de lui ? ils restent tant qu’ils peuvent, et quand il disparaît ils meurent…

— Ou ils s’envolent, dis-je en l’interrompant.

— Ou ils s’envolent, reprit-elle avec une indifférence qui aurait piqué l’homme le plus déterminé à user du singulier pouvoir dont elle l’investissait. Crois-tu qu’il soit digne d’une femme de faire avaler à un homme des tartines beurrées de vertu pour lui persuader que la religion est incompatible avec l’amour ? Suis-je donc une impie ? On se donne, ou l’on se refuse ; mais se refuser et moraliser, il y a double peine, ce qui est contraire au droit de tous les pays. Ici tu n’auras que d’excellents sandwiches apprêtés par la main de ta servante Arabelle, de qui toute la morale sera d’imaginer des caresses qu’aucun homme n’a encore ressenties et que les anges m’inspirent.

Je ne sais rien de plus dissolvant que la plaisanterie maniée par une Anglaise, elle y met le sérieux éloquent, l’air de pompeuse conviction sous lequel les Anglais couvrent les hautes niaiseries de leur vie à préjugés. La plaisanterie française est une dentelle avec laquelle les femmes savent embellir la joie qu’elles donnent et les querelles qu’elles inventent ; c’est une parure morale, gracieuse