Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
442
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

comme leur toilette. Mais la plaisanterie anglaise est un acide qui corrode si bien les êtres sur lesquels il tombe qu’il en tait des squelettes lavés et brossés. La langue d’une Anglaise spirituelle ressemble à celle d’un tigre qui emporte la chair jusqu’à l’os en voulant jouer. Arme toute puissante du démon qui vient dire en ricanant : Ce n’est que cela ? la moquerie laisse un venin mortel dans les blessures qu’elle ouvre à plaisir. Pendant cette nuit, Arabelle voulut montrer son pouvoir comme un sultan qui, pour prouver son adresse, s’amuse à décoller des innocents.

— Mon ange, me dit-elle quand elle m’eut plongé dans ce demi-sommeil où l’on oublie tout excepté le bonheur, je viens de me faire de la morale aussi, moi ! Je me suis demandé si je commettais un crime en t’aimant, si je violais les lois divines, et j’ai trouvé que rien n’était plus religieux ni plus naturel. Pourquoi Dieu créerait-il des êtres plus beaux que les autres si ce n’est pour nous indiquer que nous devons les adorer ? Le crime serait de ne pas t’aimer, n’es-tu pas un ange ? Cette dame t’insulte en te confondant avec les autres hommes, les règles de la morale ne te sont pas applicables, Dieu t’a mis au-dessus de tout. N’est-ce pas se rapprocher de lui que de t’aimer ? pourra-t-il en vouloir à une pauvre femme d’avoir appétit des choses divines ? Ton vaste et lumineux cœur ressemble tant au ciel que je m’y trompe comme les moucherons qui viennent se brûler aux bougies d’une fête ! les punira-t-on, ceux-ci, de leur erreur ? d’ailleurs, est-ce une erreur, n’est-ce-pas une haute adoration de la lumière ? Ils périssent par trop de religion, si l’on appelle périr se jeter au cou de ce qu’on aime. J’ai la faiblesse de t’aimer, tandis que cette femme a la force de rester dans sa chapelle catholique. Ne fronce pas le sourcil ! tu crois que je lui en veux ? Non, petit ! J’adore sa morale qui lui a conseillé de te laisser libre et m’a permis ainsi de te conquérir, de te garder à jamais ; car tu es à moi pour toujours, n’est-ce pas ?

— Oui.

— À jamais ?

— Oui.

— Me fais-tu donc une grâce, sultan ? Moi seule ai deviné tout ce que tu valais ! Elle sait cultiver les terres, dis-tu ? Moi je laisse cette science aux fermiers, j’aime mieux cultiver ton cœur.

Je tâche de me rappeler ces enivrants bavardages afin de vous bien peindre cette femme, de vous justifier ce que je vous en ai