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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/480

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

avait pénétré tout d’un coup cette nature dans sa rapide rencontre ; je me souvins de ses paroles prophétiques : Henriette avait eu raison en tout, l’amour d’Arabelle me devenait insupportable. J’ai remarqué depuis que la plupart des femmes qui montent bien à cheval ont peu de tendresse. Comme aux amazones, il leur manque une mamelle, et leurs cœurs sont endurcis en un certain endroit, je ne sais lequel.

Au moment où je commençais à sentir la pesanteur de ce joug, où la fatigue me gagnait le corps et l’âme, où je comprenais bien tout ce que le sentiment vrai donne de sainteté à l’amour, où j’étais accablé par les souvenirs de Clochegourde en respirant, malgré la distance, le parfum de toutes ses roses, la chaleur de sa terrasse, en entendant le chant de ses rossignols, en ce moment affreux où j’apercevais le lit pierreux du torrent sous ses eaux diminuées, je reçus un coup qui retentit encore dans ma vie, car à chaque heure il trouve un écho. Je travaillais dans le cabinet du roi qui devait sortir à quatre heures, le duc de Lenoncourt était de service ; en le voyant entrer le roi lui demanda des nouvelles de la comtesse ; je levai brusquement la tête d’une façon trop significative ; le roi, choqué de ce mouvement, me jeta le regard qui précédait ces mots durs qu’il savait si bien dire.

— Sire, ma pauvre fille se meurt, répondit le duc.

— Le roi daignera-t-il m’accorder un congé ? dis-je les larmes aux yeux en bravant une colère près d’éclater.

— Courez, mylord, me répondit-il en souriant de mettre une épigramme dans chaque mot et me faisant grâce de sa réprimande en faveur de son esprit.

Plus courtisan que père, le duc ne demanda point de congé et monta dans la voiture du roi pour l’accompagner. Je partis sans dire adieu à lady Dudley, qui par bonheur était sortie et à laquelle j’écrivis que j’allais en mission pour le service du roi. À la Croix de Berny, je rencontrai Sa Majesté qui revenait de Verrières. En acceptant un bouquet de fleurs qu’il laissa tomber à ses pieds, le roi me jeta un regard plein de ces royales ironies accablantes de profondeur, et qui semblait me dire : — « Si tu veux être quelque chose en politique, reviens ! Ne t’amuse pas à parlementer avec les morts ! » Le duc me fit avec la main un signe de mélancolie. Les deux pompeuses calèches à huit chevaux, les colonels dorés, l’escorte et ses tourbillons de poussière passèrent rapidement aux