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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/481

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LE LYS DE LA VALLÉE.

cris de Vive le roi ! Il me sembla que la cour avait foulé le corps de madame de Mortsauf avec l’insensibilité que la nature témoigne pour nos catastrophes. Quoique ce fût un excellent homme, le duc allait sans doute faire le whist de Monsieur, après le coucher du roi. Quant à la duchesse, elle avait depuis long-temps porté le premier coup à sa fille en lui parlant elle seule, de lady Dudley.

Mon rapide voyage fut comme un rêve, mais un rêve de joueur ruiné ; j’étais au désespoir de ne point avoir reçu de nouvelles. Le confesseur avait-il poussé la rigidité jusqu’à m’interdire l’accès de Clochegourde ? J’accusais Madeleine, Jacques, l’abbé Dominis, tout, jusqu’à monsieur de Mortsauf. Au delà de Tours, en débouchant par les ponts Saint-Sauveur, pour descendre dans le chemin bordé de peupliers qui mène à Poncher, et que j’avais tant admiré quand je courais à la recherche de mon inconnue, je rencontrai monsieur Origet ; il devina que je me rendais à Clochegourde, je devinai qu’il en revenait ; nous arrêtâmes chacun notre voiture et nous en descendîmes, moi pour demander des nouvelles et lui pour m’en donner.

— Hé ! bien, comment va madame de Mortsauf ? lui dis-je.

— Je doute que vous la trouviez vivante, me répondit-il. Elle meurt d’une affreuse mort, elle meurt d’inanition. Quand elle me fit appeler au mois de juin dernier, aucune puissance médicale ne pouvait plus combattre la maladie ; elle avait les affreux symptômes que monsieur de Mortsauf vous aura sans doute décrits, puisqu’il croyait les éprouver. Madame la comtesse n’était pas alors sous l’influence passagère d’une perturbation due à une lutte intérieure que la médecine dirige et qui devient la cause d’un état meilleur, ou sous le coup d’une crise commencée et dont le désordre se répare ; non, la maladie était arrivée au point où l’art est inutile : c’est l’incurable résultat d’un chagrin, comme une blessure mortelle est la conséquence d’un coup de poignard. Cette affection est produite par l’inertie d’un organe dont le jeu est aussi nécessaire à la vie que celui du cœur. Le chagrin a fait l’office du poignard. Ne vous y trompez pas ! madame de Mortsauf meurt de quelque peine inconnue.

— Inconnue ! dis-je. Ses enfants n’ont point été malades ?

— Non, me dit-il en me regardant d’un air significatif, et depuis qu’elle est sérieusement atteinte, monsieur de Mortsauf ne l’a plus tourmentée. Je ne suis plus utile, monsieur Deslandes d’Azay