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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/528

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CONTES DRÔLATIQUES.

retournèrent les fiefs de Sacchez et aultres lieux, suyvant le trac de la mouvance. Il avoyt d’aage vingt années et ardoyt comme braize. Aussy, comptez que la prime iournée luy feut ardeue à passer. Alors que le vieulx Imbert chevaulchia par la campaigne, les deux cousines se iuchièrent sur la lanterne de la herse à ceste fin de le veoir ung peu plus long temps et lui feirent mille signaulx d’adieux. Puis, alors que le nuaige de pouldre soublevé par les chevaulx ne fuma plus en l’horizon, elles descendirent et soy retirèrent en la salle.

— Qu’allons-nous faire belle cousine ? dit Berthe à la faulse Sylvie. Aymez-vous la musicque ? nous musicquerons à nous deux. Chantons ung lay de aulcun gentil menestrel ancien. Hein ! dictes, est-ce vostre phantaisie ? Venez à mon orgue, venez ! Faictes cela, si vous m’aymez ! chantons !

Puis elle print Iehan par la main et l’attira au clavier des orgues, où le bon compaignon s’assit gentement en la manière des femmes. — Ha ! belle cousine, s’escria Berthe, alors que, les primes notes interroguées, le bachelier vira la teste vers elle, à ceste fin de chanter ensemblement ; ha ! belle cousine, vous avez ung œil de terrible resguardeure ! vous me mouvez ie ne sçays quoy au cueur.

— Ha ! cousine, feit la maulvaise Sylvie, bien est ce qui me ha perdue. Ung gentil mylourd du pays d’oultre-mer me ha dict que ie avoys de beaulx yeulx et les baisa si bien, que i’ay failly, tant i’ay prins de liesse à les laisser baiser.

— Cousine, l’amour se prend doncques ez yeulx ?

— Là est la forge des traicts de Cupido, ma chière Berthe, feit l’amant en lui gectant feu et flammes.

— Chantons, cousine !

De faict ils chantèrent, au gré de Iehan, ung tenson de Christine de Pisan, dans lequel il estoyt violemment parlé d’amour.

— Ha ! cousine, quelle profondeur et volume de voix est en la vostre ! elle me cherche la vie.

— Où ? feit la damnée Sylvie.

— Là, respondit Berthe en monstrant son mignon diaphragme par où s’entendent les consonnances de l’amour mieulx que par les aureilles, pour ce que le diaphragme gist plus près du cueur et de ce que vous sçavez, qui est sans doubte aulcun la prime cervelle, le second cueur et la troisiesme aureille des dames. Ie dis cecy en tout bien tout honneur, pour raison physicale et non aultre.