Aller au contenu

Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
551
LA FORTUNE EST TOUSIOURS FEMELLE.

— Vous estes truphée, feit Gauttier en se séant à table ; ie puis vous démonstrer que l’amour doibt dire la messe, les vespres et complies, puis un Ave de temps à aultre pour les roynes comme pour les simples femmes, et faire cet office par ung chascun iour comme religieux en leurs moustiers, avecques ferveur ; ains, pour vous, ces belles litanies ne sçauroyent finer.

La Royne gecta sur le beau chevalier françoys ung coup d’œil non irrité, luy soubrit et hoscha la teste.

— En cecy, feit-elle, les hommes sont des grans menteurs.

— Ie porte une grant vérité que ie vous monstreray à vos soubhaits, respondit le chevalier. Ie me iacte de vous bailler chière de royne et vous mettre à plein foin dedans la ioye ; par ainsy, vous reparerez le temps perdu, d’autant que le Roy se est ruyné pour d’aultres dames, tandis que ie réserveray mes advantaiges pour vostre service.

— Et si le Roy sçayt nostre accord, il vous mettra la teste au rez de vos pieds.

— Encores que ceste male heure m’advinst après une prime nuictée, ie cuyderoys avoir vescu cent années pour la ioye que ie auroys prinse, pour ce que oncques n’ay veu, après avoir veu toutes les Courts, nulle princesse qui puisse vous estre équipollée en beaulté. Pour estre brief en cecy, si ie ne meurs par l’espée, ie mourray par vostre faict, veu que ie suis résolu de despendre ma vie en nostre amour, si la vie s’en va par où elle se donne.

Oncques ceste Royne n’avoyt entendu pareil discours, et en feut aise plus que d’escouter la messe la mieulx chantée ; il y parut à son visaige, qui devint pourpre, pour ce que ces paroles luy feirent bouillonner le sang ez veines, tant que les chordes de son luth s’en esmeurent et luy sonnèrent ung accord de haulte gamme iusques en ses aureilles, veu que ce luth emplit de ses sons l’entendement et le corps des dames par un trez gentil artifice de leur résonnante nature. Quelle raige d’estre ieune, belle, royne, Hespaignole et abusée ! Elle conceut ung mortel desdaing pour ceulx de sa Court qui avoyent eu les lèvres closes sur ceste traistrise en paour du Roy, et délibéra soy venger à l’ayde de ce beau Françoys qui avoyt tel nonchaloir de la vie, que en son prime discours il la iouoyt sans nul soulcy en tenant à une royne ung proupos qui valoyt la mort, si elle faisoyt son debvoir. Au contraire, elle luy opprima le pied en y boutant le sien d’une