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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/580

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CONTES DROLATIQUES.

fasson non équivocque et luy disant à haulte voix : — Sire chevalier, changeons de matière, veu que ce est mal à vous d’attaquer une paouvre Royne en son endroict foible. Dites-nous les usaiges des dames de la Court de France.

Par ainsy, le sire receut le mignon advis que l’affaire estoyt dans le sac. Lors il commença ung déduict de chouses folles et plaisantes, qui durant le souper tindrent la Court, le Roy, la Royne, tous les courtizans, en gayeté de cueur, si bien que, en levant le siége, Leufroid dit ne avoir oncques tant ioqueté. Puis dévallèrent ez iardins qui estoyent les plus beaulx du monde, et où la Royne prétexta des dires du chevalier estrange pour se pourmener soubz un bosq d’orangiers floris qui sentoyent ung baulme souef.

— Belle et noble Royne, dit dès l’abord le bon Gauttier, i’ay veu en tout pays la cause des perditions amoureuses gezir dedans les primes soings que nous nommons la courtoisie ; si vous avez fiance en moy, accordons-nous en gens de haulte compréhension à nous aymer sans y bouter tant de males fassons ; par ainsy, nul soupçon n’en esclattera dehors, nous serons heureux sans dangier et long-temps. Ainsy doibvent faire les roynes soubz poine d’estre empeschiées.

— Bien dict, feit-elle. Ains, comme ie suis neufve en cettuy mestier, ie ne sçays apprester les flustes.

— Avez-vous entre vos femmes une en laquelle vous pouvez avoir grant fiance ?

— Oui, feit-elle. I’ay une femme advenue d’Hespaigne avecques moy, laquelle se bouteroyt sur ung gril pour moi, comme sainct Laurent l’ha faict pour Dieu, ains est touiours maladifve.

— Bon, feit le gentil compagnon, pour ce que vous l’allez veoir.

— Oui, dit la Royne, et aulcunes fois la nuict.

— Ha ! feit Gauttier, ie fais vœu à saincte Rosalie, patronne de la Sicile, de ung autel d’or pour ceste fortune.

— Iésus, feit la Royne, ie suis doublement heureuse de ce que si gentil amant ayt tant de religion.

— Ha ! ma chière dame, i’en ay deux auiourd’hui, pour ce que i’ay à aymer une royne dedans les cieux et une aultre icy-bas, lesquels amours ne se font, par heur, nul tort l’ung à l’aultre.

Ce proupos si doux attendrit la Royne oultre mesure, et pour