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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/294

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l’avait subitement éclairé sur ses erreurs politiques ; Charles X comptait un partisan de moins.

Dans l’impuissance de m’instruire davantage, j’apprends toujours à mes lecteurs ce que j’ai pu savoir, et, dans le cas où l’un d’eux, par trop scandalisé, voudrait indiquer à M. Vivien le lieu des séances, elles se tiennent rue Saint-Honoré, près la Halle.

5 mai 1831.
XX.
UNE CONNAISSANCE.

Ce dimanche-là, ne sachant où aller, je m’acheminai machinalement vers le théâtre Montparnasse, réceptacle dramatico-champêtre de toutes les grisettes de Paris.

J’entre au parterre, et le hasard me place près d’un jeune et piquant minois, au teint frais, aux beaux yeux bleus, à la taille svelte et gracieuse.

Mon cœur philanthrope n’a jamais pu résister à la vue séduisante d’un tablier noir servant d’enveloppe à tant d’attraits…

Placé fort proche de ma gentille voisine, j’essayai d’entamer la conversation. J’offris d’abord ma lorgnette. C’est toujours par là que je commence : il est bon de voir déjà les choses du même œil. Ma voisine est une petite brocheuse, qui, moyennant ses soixante centimes, vient prendre de l’agrément pour toute la semaine. Paraissant extrêmement sensible, elle répandit quelques larmes brillantes et argentées sur le sort de l’infortunée Léonie. Je mêlai mes larmes aux siennes, et nous fîmes un duo fort attendrissant.

Bientôt nous fûmes comme d’anciennes connaissances. J’eus même l’ineffable joie de lui présenter l’hommage respectueux de mes sentiments sous la forme d’une orange payée pour être de Malte. Dès lors, mademoiselle Chonchon (c’est le nom de ma belle) de temps en temps appuya son joli bras sur mon épaule, pencha sa tête sur ma poitrine. Vous devez penser, mes amis, dans quel état mon pauvre cœur était. À ses battements précipités, on l’aurait cru gratifié du plus solide anévrisme.

Enfin, la toile baissée pour ne plus se relever, j’offre mon bras qu’on accepte, non sans quelque hésitation, et, d’un air grave comme une patrouille de la garde nationale, je reconduis la jeune fille dans le domicile paternel situé rue de la Huchette. Cependant, chemin faisant, j’obtiens quelques propos de reconnaissance, quelques promesses vagues, paroles enivrantes qui rafraîchissent les sens comme une rosée de feu. La soirée était calme, le ciel étoilé comme le poitrail d’un Russe ; pas la moindre averse pour apaiser les passions, pas le moindre pompier pour suppléer la nature… Je pris flamme !

Surmontant ma timidité habituelle de 40 degrés au-dessous de zéro, je saisis la main de mademoiselle Chonchon avec toute la délicatesse d’un gendarme.