Aller au contenu

Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mademoiselle ! m’écriai-je, les pieds parfaitement en dehors, mais fort ému en dedans ; mademoiselle ! cette main délicieuse, qui semble vous appartenir, je ne consentirai à vous la rendre que quand vous m’aurez permis de vous revoir ! Ouf !

Comme je m’y attendais, la pauvre demoiselle parut fort surprise. Mais ce fut moins de ma proposition que de la pantomime qu’elle m’avait coûtée, car elle m’assigna le plus gracieusement du monde un rendez-vous pour le lendemain soir à huit heures, devant l’église Saint-Sulpice. Puis, là-dessus, elle rentra gaiement chez papa et maman, tandis que, moi, je tirai ma montre pour compter désormais les heures par minutes et par secondes !

Le lendemain, à sept heures du soir, j’étais déjà en toilette de bal. Un rendez-vous produit sur moi l’effet des plus violentes contredanses, et c’est toujours dans ce costume que je m’y rends. Arrivé sur la place du Palais-Royal, j’aperçois un groupe d’individus ; j’avais une heure à perdre, je m’approche et j’augmente le rassemblement de ma somme d’existence en petits souliers.

Comme j’allais adresser ma question de nouveau venu, je me trouve tout à coup nez à nez avec une énorme colonne d’eau. Croyant au prodige d’une trombe aérienne, je suis extrêmement flatté que le phénomène ait bien voulu me distinguer de la foule ; je regarde en l’air pour le bien apprécier ; je cherche, mais je ne vois rien : je suis mouillé, trempé, inondé, transpercé, diluvié ; je suis seul maintenant, chacun a fui le terrain aquatique. — J’en fais autant.

Touchée de mon héroïsme et de ma longanimité, la foule m’essuie, me plaint et m’instruit. Le pompier, homme tout d’enthousiasme et de dévouement, n’est plus qu’une machine ministérielle. Le voilà, faisant de l’ordre public à deux sous la voie ! Maladroitement arraché à l’élément terrible qui lui assigne l’estime, toujours, — la mort, souvent, — que de haines il allume pour éteindre une gambade ! que d’amours-propres noyés ! — Car…

— Ah ! — hi ! — ho ! — bravo ! — ohé ! — fameux ! — hohohoho !

— Qu’est ceci ! une charge de dragons ?

— Non, monsieur, une charge de simple particulier.

En effet, un jeune homme qui a acheté un seau plein à un porteur d’eau, tourne la place, arrive derrière l’officier commandant les jets d’eau, et, d’un bras vigoureux, le coiffe de ce coffre à liquide, qu’il abandonne en fuyant. (Historique). — Hermétiquement imprégné, manquant d’air et probablement de commodité, l’officier s’agite furieux et prononce d’énergiques jurons qui semblent sortir d’une grosse caisse, jusqu’à ce qu’un pompier, quittant sa pièce, vienne rendre son commandant à la respiration et à l’hilarité publique.

Je trouvai fort ingénieuse cette tentative de représailles ; mais, comme elle n’avait en rien séché mes habits, je rentrai vite pour en changer, ne voulant pas voir mon rendez-vous tomber aussi dans l’eau.

Déjà, depuis cinq minutes, huit heures avaient sonné, lorsque mon pied palpitant atteignit enfin la place Saint-Sulpice, place d’ordinaire solitaire et mystérieuse… Elle n’était ce soir-là ni de l’une ni de l’autre nature. Une foule inquiète inondait son pavé. Ne voyant point de pompe, j’approchai.

Enhardi par la figure charmante et la démarche incertaine d’une jeune fille,