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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/383

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fut tant aimée par le jeune baron Calyste du Guénic (voir Béatrix) et j’eus recours au binocle de M. de Rastignac. Madame de Rochegude, devenue osseuse et filandreuse, maigrie, flétrie, les yeux fermés, avait fleuri ses ruines prématurées par les conceptions les plus ingénieuses de l’article-Paris. Comme le soir mémorable où Calyste, marié à mademoiselle de Grandlieu, la retrouva au théâtre des Variétés, sa chevelure blonde enveloppait sa figure allongée par des flots de boucles où ruisselaient les clartés de la rampe, attirées par le luisant d’une huile parfumée. Son front pâle étincelait ; elle avait mis du rouge dont l’éclat trompait l’œil sur la blancheur fade de son teint refait à l’eau de son. Une écharpe de soie était tortillée autour de son cou, de manière à en diminuer la longueur. Sa taille était un chef-d’œuvre de composition. Ses bras maigres, durcis, paraissaient à peine sous les bouffants à effets calculés de ses larges manches. Elle offrait ce mélange de lueurs et de soieries brillantes, de gaze et de cheveux crêpés, de vivacité, de calme et de mouvement qu’on a nommé le je ne sais quoi. — Conti fut aussi de ma part l’objet d’un minutieux examen. Conti avait l’air maussade, distrait, ennuyé, il semblait méditer l’éternelle vérité de cet aphorisme profond et sombre comme un gouffre : « Il en est des femmes abandonnées comme des cigares éteints ; il ne faut ni reprendre les unes ni rallumer les autres. »

— Tenez, me dit M. de Rastignac, voici un de vos confrères qui a fait un beau rêve et une belle fin.

— Qui donc ?

— Étienne Lousteau.

Il me l’indiqua.

— Le petit La Baudraye s’est enfin laissé mourir.

— Et Lousteau a épousé sa veuve ?

— Comme vous dites : cet heureux drôle est, à cette heure, possesseur de la plus belle fortune du Sancerrois et d’une des femmes les plus charmantes que je connaisse.

— Madame Piédefer ne s’est pas opposée à ce mariage ?

— Il a fallu recourir, pour forcer sa volonté, à l’artillerie des actes respectueux.

— Et M. de Clagny n’est pas mort de chagrin ?

— Le pauvre homme ! on vient de le mettre à la retraite par application du décret du 1er mars, relatif à la magistrature.

M. le baron de Nucingen est-il dans la salle ? demandai-je.

— Nucingen est cloué dans son lit par la goutte ; il n’a pas deux bons mois dans l’année.

— Et sa femme ?

— La baronne ne va plus au spectacle ; les offices religieux, les assemblées de charité, les quêtes et les sermons absorbent tous ses soins et tout son temps. Le père Goriot possède actuellement une tombe en marbre blanc et un terrain perpétuel au cimetière du Père-Lachaise.

— Et sa sœur, madame de Restaud ?

— Morte, il y a plusieurs années, séparée de corps et de biens avec son mari.

— Veuillez excuser mon insatiable curiosité, dis-je à mon cicérone, mais,