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Page:Banville - Nous tous, 1884.djvu/162

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NOUS TOUS.


C’est moi qui tords l’arbuste frêle
Parmi des éclats fulgurants,
Et qui dans la même horreur mêle
Des noirs rochers et des torrents.

Pâles humains, vos pleurs, vos vies,
Votre obscur poème rêvant,
Vos amours, d’angoisses suivies,
Sont comme la poussière au vent.

Votre pensive tragédie,
Palpitant devant un rideau,
Fait, dans la nature assourdie,
Moins de bruit qu’une goutte d’eau.

Sa plainte, pour qu’on l’applaudisse,
Avait séduit l’âme et les sens ;
Elle était comme une Eurydice
Proférant de divins accents.

Elle emplissait l’air et l’espace
De sa fière modernité ;
Mais elle se tait quand je passe,
Moi, la voix de l’éternité.


1er février 1884.