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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/106

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figure d’histoire ; elle ressemblait à un portrait d’un autre âge, détaché des lambris de quelque palais. Majestueuse comme une reine, idéale comme une héroïne, elle ne rappelait pourtant à la mémoire charmée aucune reine connue, aucune héroïne illustrée par sa beauté, son courage ou sa destinée… Elle n’était qu’elle ; mais elle, c’était l’esprit de toute une race ; c’était mieux encore : c’était l’Aristocratie elle-même, ce génie du commandement par le sang, — renié comme Dieu, dans ces temps misérables, mais aussi visible que lui !

Placé près de sa femme, sur le devant de la voiture, M. de Marigny tenait la main droite de madame de Flers, qui abandonnait la gauche à Hermangarde. Ils causaient dans le bruit des roues, comme on cause quand on va se quitter pour être longtemps sans se voir. L’impression du départ enveloppait comme d’une atmosphère chargée de pressentiments sinistres ces quatre personnes dont les genoux se touchaient par les balancements de la voiture, mais dont les âmes se touchaient bien davantage. Ne formaient-elles pas une famille ? une famille qui se rompait, dans le cœur même de son faisceau vivant, par la séparation aujourd’hui, — demain et les autres jours par l’absence ?… Le déchirement sourd dont ils étaient victimes, ils le voilaient mal sous des sourires, sous des