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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/154

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ainsi qu’elle, préférait à toutes les promenades d’alentour. Il y avait à peu près sept cents pas du manoir de Flers à la falaise, et on les faisait sur les galets qui bordaient le havre. Comme ce jour-là n’était pas grande marée, elle put poser ses pieds, sans les mouiller, sur ces galets couverts de coquillages. Ayant dépassé la ligne des dernières maisons de Carteret qui regardent ce havre tranquille, elle trouva sous les dunes, qui se prolongent en chaîne jusqu’à la falaise, un vieux matelot qui raccommodait des filets, assis dans la carcasse pourrie d’une barque hors de service et tirée à la grève. Il travaillait par la force de l’habitude, car il était plus d’à moitié aveugle, et de plus il avait la face tournée vers la mer, dont ses narines de bronze aspiraient le vent mordant.

— « Bonjour, père Griffon, » lui dit-elle. Elle possédait cette mémoire qui fait aimer les reines. Il n’y avait pas un mendiant, pas un pêcheur, pas un ramasseur de varech sur cette plage, qu’elle n’eût pu appeler par son nom.

— « Est-ce que vous n’auriez pas vu passer mon mari ? — ajouta-t-elle.

— Les coups de vent, la poudre et l’âge — répondit le vieux matelot — ne m’ont pas laissé beaucoup d’yeux. Mais j’crais que j’ai vu filer M. de Marigny du côté de la falaise, il y a une heure, avec ses chiens.